Le Tour du chœur
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Voir plus d’actualitésQuand nous progressons dans la cathédrale, dont on dit qu’elle est l’archétype de l’architecture gothique – ce qui lui vaut son classement au patrimoine mondial de l’UNESCO, certains éléments ne datant pas manifestement du début du XIIIe siècle peuvent surprendre le visiteur.
Ainsi, en remontant la nef vers le chœur, on découvre :
– sur la droite (au sud, en sus de la chaire) : la chapelle Vendôme de style flamboyant, puis le buffet d’orgue ;
– à la croisée des transepts : l’autel et le mobilier liturgique contemporain réalisé par l’orfèvre Goudji ;
– puis le chœur restauré au XVIIIe siècle avec stucs, marbres, dorures, et au fond duquel s’élève l’imposante Assomption de Bridan ;
– enfin, en entrant dans le déambulatoire, l’impressionnante clôture de chœur, communément appelé à Chartres le ‘Tour de Chœur‘, mur de pierre richement ouvragé et garni de scènes sculptées.
Présentation globale…
Avant la clôture que nous connaissons, il existait déjà une clôture en bois – parfois complétée par des tentures de façon à mieux isoler l’espace sacré du chœur, pour favoriser le recueillement des chanoines, mais aussi pour les protéger des courants d’air…
Son remplacement par une clôture de pierre est décidé en 1513 par le chapitre des chanoines, et financé – au moins dans un premier temps – sur leurs propres deniers.
Entre le début en 1516 de la construction par Jehan de Beauce (maître-maçon, qui venait d’achever le clocher de la tour nord en style flamboyant) et la pose des statues de la dernière scène sculptée en 1714, il s’est donc écoulé 2 siècles.
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Ce délai peut probablement s’expliquer par les difficultés rencontrées, de différents ordres :
– difficultés de financement certainement,
– mais aussi de problèmes politico-religieux : la réforme protestante et les guerres de religion notamment.
Les chanoines, concepteurs de ce projet, ont vraisemblablement voulu s’inscrire dans des raisons théologiques liées aux soubresauts de leur époque.
C’est en effet une période bouillonnante pour le monde catholique, les écrits de Martin Luther et sa condamnation pour hérésie arriveront quelques années plus tard.
L’insistance des chanoines sur l’histoire de Marie peut facilement répondre à ces tendances nouvelles, jugées hérétiques (on relève ainsi en date du 24 mars 1515 la présence d’un tableau attaché à un pilier de l’église : il fut considéré comme incongru et hérétique…).
Caractéristiques architecturales…
Le Tour de Chœur, ou clôture du chœur, fait presque une centaine de mètres de long, 6 mètres de haut, voire plus à la pointe des flèches du dais supérieur.
Cette clôture est faite en pierre de Vernon et de Saint Leu pour les parties basses et hautes, sans oublier les pierres de Tonnerre et d’autres provenance pour les sculptures.
Elle a été édifiée en commençant par les deux parties rectilignes, tout d’abord du côté nord, rapidement suivi par le sud.
La muraille est divisée en quarante travées, délimitées par des contreforts ornés de statues d’évêques.
Sur le plan vertical, on trouve quatre niveaux :
– un soubassement – parfois orné de médaillons sculptés,
– une claire-voie, comblée dans sa quasi-totalité par du plâtre,
– 40 niches garnies de scènes sculptées,
– un couronnement (baldaquin) fait d’une dentelle de pierre, de style flamboyant.
Que racontent les scènes sculptées ?
Ces scènes sculptées racontent le déroulement de l’histoire de Marie et Jésus : sa lecture débute en partant du transept sud, et en entrant dans le déambulatoire.
Qui d’autre, sinon Dieu le Père, pouvait être présent au début de la lecture de ce livre d’images…
Il est coiffé de la tiare pontificale, tient le globe terrestre de la main droite et portait probablement le sceptre de la main gauche malheureusement coupée. C’est le Créateur, à l’origine de tout, et qui va donner son fils au Monde dans la Révélation Chrétienne.
Et c’est à cette venue du Fils dans notre Monde, par l’intermédiaire de Marie, que Dieu nous invite maintenant…
Bon nombre des scènes présentées proviennent de la Bible, mais également d’écrits apocryphes. ‘Apocryphe‘ ne veut pas dire mystérieux ou inexact, mais non reconnu comme vérité essentielle par l’Église. Ces écrits peuvent être postérieurs de plusieurs siècles aux textes du nouveau testament. Pourtant, certains passages de ces écrits sont fréquemment repris par la tradition chrétienne, mais pas la totalité. Ici, les références sont : le Protévangile de Jacques, l’Évangile du Pseudo-Mathieu, le Livre de la nativité de Marie.
Les deux premières scènes : quelques clés de lecture…
Les deux premières scènes nous montrent notamment un homme et une femme, chacun de leur côté, voire se tournant le dos. Qu’est ce qui explique cette situation ?
C’est une scène non représentée ici, qui est la cause de la séparation de ces deux personnages sculptés… L’homme est Joachim, père de Marie. Un jour de grande fête en Israël, il se voit refuser ses offrandes par le grand-prêtre du fait de sa stérilité, état considéré comme une disgrâce divine. Joachim, honteux devant Dieu et confus devant les hommes, part cacher ses pleurs en gardant les troupeaux au loin, abandonnant sa maison et son épouse, restée chez elle éplorée. D’où Joachim à gauche et Anne à droite.
La représentation sculptée correspond-elle à la demande des chanoines ?
Nous pouvons répondre Oui, Joachim est bien au milieu de ses bergers et de ses animaux.
Regardez ces bergers :
– l’un avec sa cornemuse très réaliste ;
– l’autre avec ses outils de tonte ;
– et ces animaux, chien, chèvre, moutons…
Nous pouvons faire le même constat pour Anne que l’on voit debout, son livre posé sur le pupitre, et le coussin de prière marqué de l’empreinte de ses genoux. Remarquez à ses côtés la servante, ses habits et son joli pichet.
Nous apercevons dans chacune des deux scènes de curieuses accroches noires, vers lesquelles semblent se tourner nos deux personnages ; ces accroches sont en fait des supports qui ont autrefois porté chacun un ange.
Les anges sont des messagers divins venant révéler les desseins de Dieu. Joachim et Anne reçoivent le même message : un enfant promis à une destinée particulière leur sera donné. L’ange les invite à se retrouver à la porte dorée de Jérusalem.
Jérusalem, dans la vision du Moyen Âge : une ville forte protégée par ses remparts crénelés, ses tours, ses portes fortifiées…
La Porte Dorée est imposante.
C’est celle, selon le prophète Ezéchiel, par laquelle le Messie doit revenir. Ne serait-ce pas une allégorie de la Nativité à venir de Jésus ? Et donc une annonce des scènes à venir ?
Les époux s’y retrouvent. Regardez bien leurs étreintes ; ils se regardent l’un l’autre au fond des yeux, se tiennent les mains posées sur les habits l’un de l’autre, avec délicatesse et tendresse. C’est la joie des retrouvailles ! Et le temps de rendre grâce à Dieu !
Cette chasteté n’est-elle pas annonciatrice de l’immaculée conception de Marie ?
C’est amusant de voir que la servante, sur le côté détourne pudiquement son regard pour ne pas gêner les époux. Et le chien, signe de fidélité, a disparu mais ses traces étaient encore visibles selon l’abbé Bulteau au XIXe siècle.
Les autres scènes…
L’ensemble des 37 scènes qui suivent résument la vie de Marie et de Jésus, pour se terminer au nord dans l’apothéose du couronnement de Marie au ciel par la Sainte Trinité : Père, Fils et Esprit.
Le Service des visites de la cathédrale vous invite à entrer dans la cathédrale et prendre le temps de lire cette véritable bande dessinée de pierre.
Des visites et des conférences sont régulièrement animées par les guides bénévoles de la cathédrale qui aiment à partager la découverte des trésors qu’elle recèle ainsi que les messages que les concepteurs y ont laissés à l’intention des visiteurs depuis l’origine.
N’hésitez-pas à prendre connaissance de ces visites en consultant l’agenda de la cathédrale, ainsi que la page Visiter autrement qui les mettra régulièrement en avant tout au long de l’année.
Restauration achevée
Les Amis de la cathédrale
La clôture de chœur a fait l’objet d’une magnifique restauration, menée par la DRAC avec un mécénat exceptionnel de l’association des Amis de la cathédrale (1.5 M€).
Cette aide financière s’accompagne d’une sensibilisation auprès du public à la beauté d’une œuvre, qui se redécouvre progressivement pour le plus grand émerveillement du visiteur comme du pèlerin, de l’amateur d’art comme de l’historien.
Le chantier, démarré en 2016, s’est achevé en 2022.