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Dans le troisième cercle, le problème se complique puisqu’on y voit le tombeau de la Vierge porté sur des colonnettes, procédé à valeur tout à la fois symbolique (le défunt élevé au niveau de l’autel) et descriptif (sépultures des princes et évêques – début XIIIe siècle). Voici donc que, le point rouge devenu inutile, le maître verrier persiste néanmoins – comme s’il y avait une volonté délibérée d’homogénéisation :

Mise au tombeau, verrière de la glorification de la Vierge ©NDC-fonds Gaud

Trois points rouges servent ainsi d’ornement au tombeau, à peine quelques centimètres plus haut. Ce qui ne manque pas d’étonner, de faire sourire – et qui témoigne d’un fameux sens de l’opportunisme – c’est qu’il s’inscrit en cela dans une formule type du tombeau, telle qu’aperçue sur de nombreuses autres verrières. Il n’opère en fait qu’un changement secondaire, en remplaçant les rosettes par des points unis (voir pour comparaison, saint Apollinaire, saint Silvestre – où les couleurs sont inversées : motif bleu sur tombeau rouge). Une première fois, ce qui apparaissait comme une exception ornementale est ‘réintégré’ dans le fonctionnel.

Dans le quatrième cercle, voici que l’horizontale du sol pose un problème exactement identique à celui posé pour le deuxième. Le maître verrier choisit à nouveau d’évoluer et modifier très légèrement la solution avec ‘point’. Il compose à partir de modèles existants dans d’autres verrières, en y  récupérant notamment l’idée d’une arcature, faisant elle-même support à une ligne décorée à usage de plancher (voir saint Nicolas – chapelle des confesseurs, saint Thomas) :

Couronnement de la Vierge, verrière de la glorification de la Vierge ©NDC-fonds Gaud

Ce que ne manquera pas de noter l’observateur attentif, et qu’il faut souligner avec humour, c’est que les verres rouges se resserrent vers le bas et qu’ils apparaissent en définitive comme une sorte d’intermédiaire hésitant entre le point et l’arcade. Il ne faut pas exclure à nouveau le modèle fourni par certains tombeaux – où l’on peut repérer ce genre d’arcades (voir saint Étienne – avec la même transposition rouge/bleu), mais il reste qu’il s’agit d’un support architecturé. Et voici donc qu’une deuxième fois, l’exception du point rouge fait l’objet d’un ‘rattrapage’ d’ordre fonctionnel – in extremis oserait-on dire.

Tout l’intérêt de cette réflexion consiste à suivre, pas à pas, le questionnement de l’artisan. Sur un problème certes secondaire, on le voit confronté à deux logiques, exclusives l’une de l’autre :
– d’une part, une vision très graphique du vitrail, avec le souci d’une cohérence entre tous les panneaux, d’un fil directeur – oserait-on dire un fil pointillé rouge – selon un raisonnement d’autant plus valable que chaque scène s’étend, à même niveau, sur trois panneaux ;
– d’autre part, une application à concevoir chaque scène comme une tranche de vie réaliste, avec le respect du modèle type proposé par les commanditaires – et donc une obligation d’éviter les digressions.
Mieux encore, on comprend ses hésitations. On aurait presque envie de lui sourire de façon connivente, à huit cents ans de distance.
 
Serait-ce un signe d’archaïsme dans la cathédrale gothique ? Qu’y voit-on, en définitive ? Deux ‘signes’ qu’on pourrait comprendre comme des ‘doigts tendus’, comme une intervention souveraine de l’artisan dans le récit : « voici la scène que vous devez regarder avant toute autre ». Puis deux astuces, plus haut, qu’on ne saurait traiter aujourd’hui sans amusement et permettant pour un temps d’achever la verrière – avec une continuité quant à la forme, mais une renonciation sur l’idée de fonds : il n’est plus question désormais d’un ‘signe’ autonome, hors récit, mais uniquement d’ajouter au véridique de la scène. Deux signes, deux astuces et puis plus rien… si ce n’est d’ailleurs les mêmes points qui réapparaissent au contact des bordures en ogive, tout en haut de la verrière, le long des bordures en forme d’arc brisé.
 
Nous ne serions pas sans penser que cet infime détail est donc plus important qu’il n’apparaît d’abord – tout au moins comme révélateur. Si l’on s’attache aux logiques profondes de l’art roman et gothique, l’un étant attaché au symbole autant que l’autre vise au réel, c’est peut-être à ce moment précis que l’art authentiquement ‘roman’ rendrait à Chartres, avec discrétion, l’un de ses tous derniers soupirs – un de ses derniers feux, avec la couleur des braises.

Verrière de ‘glorification de la Vierge’ (bas-côté sud) ©NDC-fonds Gaud