… ou ‘Longue analyse d’un détail presque insignifiant’.
Il est des détails qui agacent l’œil, qui questionnent… Prendre le temps de répondre à ces interrogations, c’est s’aventurer dans le monde du XIIIe siècle par ‘le tout petit bout de la lorgnette’ : ses choix esthétiques, ses choix symboliques, ses maîtres verriers plein d’astuce. Suivez nous…
Les vitraux narratifs de Chartres s’appuient sur un cadre d’expression parfaitement établi, caractéristique de l’art du XIIIe siècle et qui est respecté de la façon la plus stricte qui soit :
D’un côté, les bordures, ainsi que le fonds du vitrail, qui prend l’aspect d’une tapisserie continue, utilisant aussi bien les motifs géométriques que végétaux. Souvent, le fonds donne la tonalité, l’ambiance, oserait-on dire.
De l’autre, les panneaux explicitant les différentes scènes du récit, à la façon de nos bandes dessinées. Ces panneaux, de forme variée (cercles, losanges, quadrilobes…) sont systématiquement délimités par un ou plusieurs filets de couleur et correspondent généralement à des espaces circonscrits par l’armature métallique. Ce sont eux que l’on regarde avant tout…
Entre ces deux ‘zones’ d’un vitrail, la séparation est totalement hermétique – ce qui n’est pas sans surprendre quand on connait les habitudes des artistes, quelques décennies plus tôt. On ne trouve jamais un seul élément lié à l’histoire dans les marges ornementales. Inversement, on ne trouve rien dans le descriptif scénarisé de ‘l’histoire’ qui soit purement… décoratif. Tout se passe comme si les artistes s’obligeaient à y faire figurer des détails qui ont une utilité – tout au moins une raison d’être fonctionnelle. La ligne ornée fait ‘plancher’ à la façon des ponts ou arcades qu’on voit souvent en bas des panneaux ; l’arbre fait ‘paysage’ de la même façon que le détail architecturé fait ‘bâti’. On voit bien quelques très rares arbustes dans l’angle inférieur de certains panneaux, totalement hors contexte, dont la seule destination est de ‘meubler’ les vides sous les niveaux de sols. Mais il n’y a par contre aucun signe géométrique gratuit, qui répondrait aux seules préoccupations ornementales.
Si l’on s’astreint avec méthode à un classement thématique des détails figurés dans tous les vitraux des baies inférieures, cette règle s’avère intangible – avec une seule véritable exception, ce qui mérite assez de s’y intéresser.
La verrière de ‘glorification de la Vierge’ se situe dans le bas-côté sud de la cathédrale. Nous nous préoccupons ici de l’axe du vitrail, qui fait alterner quadrilobes et grands cercles. Est-il besoin d’ailleurs de rappeler l’importance de l’axe : celui-ci permet ordinairement d’accéder à l’essentiel du propos symbolique, de dégager – autrement dit – le deuxième/troisième degré de lecture.
En partant du bas, dans le premier cercle, on verra que l’horizontale du sol est assurée par un ‘pont’, tendu entre les bords :
Dans le deuxième cercle, c’est une ligne décorée qui fait office de plancher :
Dans chacun des cas, l’espace laissé libre est occupé par un… point rouge.
On comprend assez facilement le dessein du maître verrier, attaché à une logique archaïsante qui a en horreur les ‘vides’. Pour remplir cette plage de couleur, il utilise le moyen le plus simple à sa disposition : la ‘tache’, avec contraste rouge/bleu. Par là, il matérialise aussi la ligne ascendante de la verrière (où il est tout de même question d’Assomption…).
De fait, ces points attirent irrésistiblement le regard. Ils représentent, nous le répétons, une curieuse exception sur un millier environ de panneaux narratifs.
à suivre…