Tandis qu’est édifié le portail royal et que sont réalisées les trois grandes fenêtres de la façade occidentale, la cathédrale – ou l’abbaye Saint-Père-en-Vallée, en basse ville – produisent également plusieurs manuscrits dont le décor est à l’égal de la sculpture et de l’art verrier : un sommet artistique.

Deux manuscrits ont déjà été abordés (voir 1/5 et 2/5). Le manuscrit 2391 de la bibliothèque de Troyes, dite “Bible des comtes de Champagne” présente d’importantes similitudes avec la Bible 458, conservée dans le même établissement et dont il est peut-être la continuation, même si ces différents volumes ont connu par la suite un itinéraire différent. Le manuscrit 2391 comprend les livres de l’Ancien Testament qui vont des Chroniques aux Macchabées, ainsi que l’intégralité du Nouveau Testament. Le commanditaire serait Thibaut II de Champagne, qui était également comte de Meaux, Blois, Châteaudun… et Chartres.

L’origine chartraine a été affirmée par Patricia Stirnemann, chercheuse à l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes, qui a fait le rapport avec plusieurs ouvrages déjà répertoriés. On peut dater sa réalisation entre 1140 et 1160.

Les lettres ornées utilisent plusieurs motifs dont les plus courants sont le rinceau et le dragon. Les feuilles sont fréquemment inspirées de l’acanthe. Pour certaines lettres, en tête d’un livre biblique, on a également représenté des scènes tirées du récit.

Sélection des plus belles lettres :

Initiale P de l’épître aux Philippiens. Une réalisation typiquement chartraine, qui ne comprend d’ailleurs que des entrelacs végétaux – à l’exception d’un monstre au sommet de la barre verticale. Il faut s’adresser à un enlumineur pour qu’il explique le très haut niveau technique de cette réalisation : chaque couleur comprend trois nuances – qui supposent un travail à l’échelle millimétrique © Photographies H. Gaud
Ces motifs entrelacés font évidemment penser aux colonnettes du portail royal, qui sont réalisées dans les mêmes années. Il est possible que des contacts aient existé entre artisans copistes et sculpteurs © NDC
Initiale P de l’épître à Tite. L’artisan a changé son parti-pris : les entrelacs ne sont conservés que dans la boucle du P. Le pied est décoré d’un motif dentelé. Le contour de la boucle est en forme de dragon. On notera que sa queue se transforme en plante : cette association fantastique de l’animal et du végétal est typique du XIIe siècle © Photographies H. Gaud
Initiale P, avec la conversion de saint Paul. On voit la main de Dieu qui désigne les yeux du saint, tombé à terre : c’est une allusion à l’aveuglement qui le frappe © Photographies H. Gaud
Initiale P de la deuxième épître aux Thessaloniciens, avec Saint Paul s’évadant de la ville de Damas dans une corbeille, au bout d’une corde. On notera l’amusant sanglier, sous le pied de la lettre © Photographies H. Gaud
Cette scène se retrouve sur un panneau du vitrail de saint Paul, dans la cathédrale. Attention, ce panneau est un ‘pastiche’ de 1872 © Photographies H. Gaud
Initiale P de la deuxième épître aux Corinthiens, avec Ananie guérissant saint Paul © Photographies H. Gaud
Initiale P de la lettre aux Galates, avec le baptême de saint Paul. On pourra apprécier la qualité des drapés (dans la scène historiée) et des feuillages (sur le pied de la lettre) © Photographies H. Gaud
Initiale P de la première lettre aux Thessaloniciens, avec saint Paul et la vipère de Malte © Photographies H. Gaud
Initiale P de la lettre aux Éphésiens, avec saint Paul qui comparait devant le Sanhédrin. Les mêmes traits verts servent à dessiner la tunique d’un juge et les côtes du saint – torse nu. Le drapé bleu présente une intensité remarquable. On a donné au bourreau une expression féroce © Photographies H. Gaud
Initiale P de la première lettre à Timothée, avec la lapidation de saint Paul. L’enlumineur a poussé le réalisme jusqu’à indiquer des points rouges, à peine visibles en plan rapproché, sur le front chauve de saint Paul. On notera à la fois le petit dragon – à l’aspect bien inoffensif et le personnage barbu – un peu hébété, au sommet du pied de la lettre © Photographies H. Gaud
Initiale P, avec la décapitation de saint Paul. Le saint est à genoux ; le glaive du bourreau va s’abattre sur sa nuque © Photographies H. Gaud
Cette scène se retrouve sur un panneau du vitrail de saint Paul, dans la cathédrale. Ce panneau, authentique, a été réalisé vers 1210/1215. Ce sont à présent deux bourreaux qui sont chargé de l’exécution. La main de Dieu envoie sur l’apôtre la grâce divine © Photographies H. Gaud
Initiale M de l’épître aux Hébreux. Cette réalisation, qui respecte une totale symétrie, retrouve l’esprit de la lettre ornée qui avait commencé cette série : les entrelacs végétaux ont la place principale, auxquels on ajoute des dragons de différentes tailles © Photographies H. Gaud