par Félicité Schuler-Lagier, Interprète-conférencière au Centre international du Vitrail
avec l’aimable autorisation de Chartres Sanctuaire du Monde
(suite)
Trois métiers illicites : Les changeurs
Avec la diversité des monnaies qui avaient cours à l’époque médiévale, leurs deux fonctions traditionnelles et indispensables étaient le change des monnaies et le commerce des métaux précieux. L’orfèvrerie faisait également partie de leur activité, et par conséquent, le clergé comptait parmi leurs clients. Les changeurs, futurs marchands-banquiers et prêteurs, pratiquent un métier que l’Église se doit de condamner et de moraliser, car ils s’enrichissent du travail des autres. Or s’enrichir d’un travail qu’on n’effectue pas soi-même, c’est littéralement voler l’autre et le spolier des fruits de son travail. Donc, c’est immoral. L’usurier est considéré comme un voleur de Dieu : il gagne de l’argent en laissant passer simplement le temps considéré comme un cadeau de Dieu. Dans les Bibles moralisées, les images des changeurs expriment du dédain pour la profession, les changeurs représentent les vices et le désir coupable pour des choses terrestres. Ils sont avaricieux, âpres au gain et veulent dominer par leur puissance matérielle. Ils ne pensent qu’à s’enrichir.
La présence d’une balance et de différents poids dans les scènes des changeurs s’explique du fait que c’était une précaution élémentaire que d’estimer la valeur des pièces de monnaie par la pesée, car il arrivait fréquemment qu’un changeur, rusé et peu scrupuleux, limait les pièces, récupérant un peu de limaille qu’il pouvait ensuite refondre à son profit. Il arrivait aussi que les balances et poids soient faussés, et maints passages de la Bible rappellent que Dieu tient en abomination les faussaires. La balance, attribut des changeurs, n’est donc pas forcément un instrument de mesure dont la présence permettrait de conclure à l’honnêteté de ceux qui s’en servent.
La présence des images de changeurs dans les lancettes du chœur étonne. Jésus n’a-t-il pas chassé les changeurs du Temple ? « Ma maison sera appelée une maison de prière, mais vous en avez fait une caverne de voleurs ». Mais elle peut s’expliquer par le souci qu’avait l’Église de rappeler de façon très didactique et répétée, qu’il faut faire le bien et éviter le mal.
Les pièces d’or et d’argent et les objets d’orfèvrerie placés sur la table des changeurs dans le registre inférieur de deux lancettes du chœur (baie 105, saint Pierre, et en face, baie 104, saint Jean-Baptiste), étalent une immense richesse et s’opposent de façon on ne peut plus antithétique à la pauvreté prêchée par le Christ, pauvreté et dénuement qui caractérisent la vie de ses disciples et de son apôtre saint Pierre qui, avant de guérir un pauvre paralysé qui attend de lui une obole, lui dit : « Je n’ai ni argent ni or, mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus-Christ de Nazareth, marche ! » (Actes 3,6).
Dans un autre passage encore dans les Actes (5,1-6), saint Pierre annonce une mort prématurée à un couple n’ayant apporté en aumône qu’une partie du prix de la vente de leurs biens, condamnant l’attitude de ceux qui se donnent uniquement l’apparence d’une généreuse libéralité. Plus loin (19,24-26), un orfèvre qui fabriquait des idoles païennes en or et en argent pour le temple de Diane, ameute contre saint Paul les autres ouvriers à qui ce commerce apportait un gain considérable.
La Bible recommande en de multiples passages de toujours préférer à l’or et à l’argent, représentant le monde avec ses richesses coupables, la Sagesse, la Loi de Dieu et Dieu lui-même.
à suivre…
Article original publié dans la Lettre de Chartres Sanctuaire du Monde (décembre 2021)