par Félicité Schuler-Lagier, Interprète-conférencière au Centre international du Vitrail
avec l’aimable autorisation de Chartres Sanctuaire du Monde
Les images du travail de la terre (semailles, moisson, vendange), en particulier dans les calendriers, rappellent que l’Église mettait au premier rang l’antique travail de la terre, le labour ayant été imposé par Dieu lui-même à l’homme (Gn 2,15). Les produits de ce travail, le vin et le pain, sont même sanctifiés, puisqu’ils sont utilisés dans l’Église.
Paysans, vignerons et boulangers se trouvent en bonne place parmi les métiers considérés comme licites et louables dans la société médiévale.
Métiers « licites » et métiers « illicites »
À l’opposé du travail de la campagne, la ville, avec ses arts et avec toutes ses séductions, est le lieu de tous les maux, où règnent violence, fraude, meurtre, luxure et tentations variées. Les métiers illicites, ce sont ceux de la ville, jugés incompatibles avec la dignité cléricale, et interdits aux chrétiens, car considérés comme déshonorants. Toutefois, l’Église reconnaît le travail artisanal, indispensable au bon fonctionnement de la société, comme travail créateur et source légitime de gain, s’il est exécuté honnêtement et sans fraude.
La plupart des scènes de métiers que l’on observe dans les registres inférieurs des vitraux, se trouvent à une place traditionnellement réservée aux donateurs nobles et ecclésiastiques. Mais contrairement à ces donateurs, dont certains sont identifiés par des inscriptions, les artisans et marchands n’y sont jamais représentés à genoux, l’humble position de prière, mais dans l’exercice de leur activité, debout ou assis, et dans la plupart des cas, ils portent la tunique courte, tenue de travail, travail auquel, l’homme d’Église au Moyen Âge ne cesse jamais de le rappeler, Dieu a condamné l’humanité pécheresse.
Un métier licite : les boulangers
Traditionnellement appelés panetarii, pistores ou bolengarii, les boulangers se désigneront eux-mêmes, vers le milieu du 13e siècle, par le nom de talemeliers. Les boulangers travaillèrent très longtemps dans les fours banaux, à la solde des seigneurs, et ne se formèrent en communauté à Chartres que tardivement, vers la fin du 13e siècle. Quand on commença à préparer des pains spécialement destinés au sacrifice eucharistique, fait attesté à partir du 4e siècle, les monastères cultivaient un champ de blé spécial, dont la récolte était destinée à leur fabrication. La fabrication de ce pain de pur froment, matière des hosties, était réservée dans un premier temps aux seuls ministres sacrés ou aux clercs. C’est seulement plus tard, quand la fabrication du pain d’autel devint commercialisée, que certains boulangers, les oblayers, munis d’une permission de l’autorité ecclésiastique, pouvaient le faire.
Toute représentation de pain dans une église est une figure du pain eucharistique. Selon le Liber de Panibus, ouvrage que Pierre de Celle, évêque de Chartres (1181-1183), avait consacré aux vingt-quatre espèces de pain dont parle la Bible, les différentes espèces de pain évoquent le festin céleste. Le pain azyme dont parle la Bible est la figure de l’Incarnation, « puisque le Christ a pris notre nature sans le péché ». Tout est signe qui contribue à exciter dans l’âme « la faim du céleste désir », l’appétit des pains délicats de la grâce.
Les pains dans une corbeille évoquent encore la Manne (Ex 16,4), ce pain miraculeux qui nourrit les Hébreux lors de leur longue traversée du désert, pain céleste et surnaturel qui ne se conservait que pendant une journée. Dans le Temple, il y avait aussi des pains sur la table de proposition (Ex 25,23), autre préfigure du pain eucharistique. Toute corbeille débordant de pains renvoie aussi aux miracles de Multiplication de pains opérés par Jésus. Ne fallait-il pas sept grandes corbeilles pour ramasser le pain qui restait après que la foule s’était rassasiée ?
Les immenses corbeilles à pains au bas des deux grandes lancettes du chœur, que le fidèle au Moyen Âge pouvait facilement repérer malgré la présence du Jubé, rappellent encore une très ancienne tradition, celle du pain bénit. Dès l’antiquité, l’usage s’établit de bénir à la messe les pains offerts par les fidèles qui n’avaient pas été consacrés et de les distribuer à la fin de la messe au peuple. Ces pains bénits, ou eulogies, s’envoyaient aussi en signe de charité, entre paroisses. De nombreuses Vies de saints rapportent les miracles opérés par les eulogies. Au Moyen Âge, les pains bénits étaient enveloppés dans des nappes blanches, ou dans une étoffe de soie, et portés dans des corbeilles, objets de vanneries artistiquement tressés, fermées pour le transport d’une longue distance, et ouvertes pour la distribution dans l’église. Saint Grégoire de Nazianze parle d’une corbeille (canistrum) remplie de pains du plus pur froment sur lesquels il faisait des prières et des signes de croix.
à suivre…
Article original publié dans la Lettre de Chartres Sanctuaire du Monde (décembre 2021)