Le tombeau de Saint-Lubin, Évêque de Chartres (544 à 556)
dans Revue Archéologique, 15e Année, No. 1 (avril à septembre 1858), pp. 35-39
par F. Jean Mabillon et Doublet de Boisthibault

François Jules Doublet de Boisthibault (1800 – 1862) était avocat à la Cour Royale de Paris, attaché au barreau de Chartres, journaliste, écrivain, historien et archéologue, Conservateur de la bibliothèque de Chartres. Il a notamment collaboré à la Revue archéologique.
Ses textes reflètent les connaissances du XIXe siècle et la liberté d’expression dont jouissaient les chercheurs à cette époque.

(suite et fin)

Contre cette dernière conjecture, il y avait encore à dire que saint Chalétric et saint Lubin avaient été inhumés à Saint-Martin au Val. Il est vrai qu’ils avaient pu en être retirés depuis leur inhumation, pour enrichir quelque chapelle de leurs reliques.
« Habillez tout cela comme vous l’aurez agréable , mon révérend Père, disait la lettre du 8 novembre, mais cela me paroist bien brouillé, pourveu que je ne me brouille point avec vous en vous entretenant de faits si obscurs, et que je puisse mériter l’honneur de vos bonnes graces, je seray très-satisfait, etc. »

« Pour ce qui est du tombeau où il y a une croix emmanchée, écrivait le 23 novembre D. Mabillon, ce pourroit bien estre le tombeau du fondateur de la chapelle. Je croy auvoir découvert qui il est. Il me paroist que c’est l’evêque Gilbert qui vivoit au IXe siècle. Voici la preuve que j’en ay qui est tirée du livre des Miracles de saint Vandrille dont les reliques furent portées à Chartres l’an 1095 et déposées dans l’église de Saint-Cheron, et depuis portées pour plus grande sûreté, in capellam quàm olim venerandus Gislebertus infrà (c’est-à-dire intrà), domum suam construxerat. Il me paroist que c’est là votre chapelle du palais épiscocal. Vous trouverez cette pièce au IIe siècle de nos Actes, page 557. »
« A l’égard de ce que vous dites que saint Lubin pourroit avoir esté enseveli dans cette chapelle, j’ay de la peine à le croire, puisqu’il est certain qu’il a esté enterré à Saint-Martin au Val. »
« J’oubliois à proposer une difficulté qui vous pourra venir à la pensée, sur ce que je viens de dire, que l’evêque Gilbert a bâti cette chapelle. Vous direz sans doute qu’il n’y a guère d’apparence, vu que Saint-Calétric, qui vivoit plus de deux cents ans auparavant, y a esté enterré. A cela je répons que, quoyque la tombe se trouve dans cette chapelle, elle y a pu estre transportée. D’ailleurs, lorsqu’on l’a bastie, et peut-être que ce fut pour lors que son corps fut levé de terre, et que l’evêque Gislebert fit transporter le tombeau dans cette nouvelle chapelle, qu’il faisoit construire. Voilà ma pensée, je vous en laisse le juge. »

« F. Jean Mabillon. »

 

La lettre du savant bénédictin n’était pas le dernier mot de celte discussion. Gislebert avait-il occupé la chaire chartraine ? On en doutait ; puis Souchet et l’Aganon vetus indiquaient la chapelle de Saint-Jean l’évangéliste dans l’église de l’abbaye de Saint-Père comme étant le lieu de l’inhumation de ce prélat.
« Vos Pères de Bonne-Nouvelle d’Orléans ne pourroient-ils point nous donner quelques lumières là-dessus ? Ce sont ces messieurs qui ont emporté les archives et tout ce qui pouvoit concerner l’antiquité du prieuré de Saint-Martin. Un mot de vous, mon révérend Père, en ce quartier-là, servira à éclaircir l’obscurité de cette matière (1). »

Les choses en étaient là, lorsqu’au mois de juin 1704, un examen plus minutieux du tombeau (2) fit découvrir à la tête et au pied deux lettres majuscules, S. L., gravées dans une position différente.

(1) Lettre au P. Mabillon du 29 novembre 1703.
(2) Un de nos confrères curieux de l’antique. (Lettre du 24 janvier 1705).

Le 24 janvier 1705, D. Mabillon fut informé de cette nouvelle découverte. Ces lettres n’avaient point été mises au hasard ; elles avaient nécessairement une signification ; on croyait y lire les initiales du nom de saint Lubin. On s’étonnait pourtant de la qualification de saint donnée à un évêque.
« L’usage d’aprésent, porte la lettre de 1705, n’étoit pas de faire des inscriptions de saints sur les tombeaux des mourants sans une permission particulière de la cour de Rome ; mais, dans les premiers temps de l’église, le peuple se donnoit un certain droit de qualifier de saints ceux qui paroissoient le mériter au moment de leur mort, et ainsi ces lettres ont pu estre dès le temps de l’inhumation de saint Lubin ; si cela n’a pas esté, on peut conjecturer qu’elles y ont esté mises par quelque personne zélée pour la conservation de la mémoire de ce saint, lorsqu’on a rapporté des terres dans cette chapelle pour égaler le pavé à celuy du cloistre rehaussé vers le XIe siècle. Ce rapport de terre couvrit les tombeaux de cette chapelle qu’on vénéroit à découvert comme il se pratique encore dans quelques églises de nos quartiers. Ce fut apparemment dans ce temps que ces lettres furent gravées, si elles ne le furent pas auparavant pour servir de mémorial à ceux qui viendroient à découvrir un jour ces tombeaux comme il est arrivé dans ces temps. »

Ces conjectures étaient très-vraisemblables ; elles sont encore aujourd’hui ce qu’elles étaient il y a plus d’un demi-siècle, quand elles ont été produites ; personne n’oserait dire qu’elles ne soient pas vraies (1).

Doublet de Boisthibault.

(1) En 1821, la tombeau de saint Lubin se trouvait avec d’autres débris de pierres tombales, près des colonnes de la chapelle placée au chevet de l’église de Saint- Brice (anciennement Saint-Martin au Val). Il fut enlevé…. On s’en servit pour faire l’auge d’une étable ! Quand on démolit l’étable on brisa l’auge et on la confondit parmi les matériaux de construction !