Le tombeau de Saint-Lubin, Évêque de Chartres (544 à 556)
dans Revue Archéologique, 15e Année, No. 1 (avril à septembre 1858), pp. 35-39
par F. Jean Mabillon et Doublet de Boisthibault
François Jules Doublet de Boisthibault (1800 – 1862) était avocat à la Cour Royale de Paris, attaché au barreau de Chartres, journaliste, écrivain, historien et archéologue, Conservateur de la bibliothèque de Chartres. Il a notamment collaboré à la Revue archéologique.
Ses textes reflètent les connaissances du XIXe siècle et la liberté d’expression dont jouissaient les chercheurs à cette époque.
Lors de la démolition, à Chartres, de la chapelle de Saint-Serge et de Saint-Bacche (1), on découvrit trois tombeaux, deux desquels avaient trois croix pattées. Cette découverte donna lieu à une correspondance où vous trouverez les noms de Léonor d’Estampes, évêque de Chartres ; de l’abbé Chastelain, chanoine de Paris ; du P. Esterlin de Sainte-Geneviève, et du célèbre bénédictin D. Mabillon. Le dépouillement de ces lettres fait le fond et l’intérêt de cette notice.
Les tombeaux se touchaient ; ils étaient de pierre tendre, et, néanmoins, assez dure ; les pieds approchaient de très près les fondements du rond-point de la chapelle, et la tête sous l’autel (2).
Le tombeau dont nous allons parler fut trouvé le 18 octobre 1703, sous l’autel en ruines de l’une des chapelles de Saint-Serge ; il était plus grand, mieux entendu et plus magnifique que les autres. Ses dimensions en feront juger :
Longueur …… 2m,111
Largeur du côté de la tête …… 1m,56
Largeur du côté opposé …… 0m,326
Hauteur …… 1m,56
(1) Cette chapelle avait deux entrées : l’une du côté du palais épiscopal, l’autre, la principale, du côté du cloître.
(2) Lettre de Léonor d’Estampes, évêque de Chartres.
Le couvercle à feuillure avait 2m,274 de long, 0m,326 d’épaisseur.
Ce tombeau renfermait un corps moins la tête. Point d’inscription, mais en la place une croix avec un manche, telle que le dessin la représente.
Quant à la différence remarquée dans la grandeur de ces tombeaux, l’abbé Chastelain l’expliquait ainsi (1) :
« La même chose se voit à Rome dans les cimetières souterrains. Étant descendu dans celui dont l’entrée est près de Saint-Laurent hors les murs (2), les chanoines réguliers du lieu, qui m’avoient fait allumer des flambeaux, me faisoient remarquer que les cavités qui estoient comme des tiroirs l’un sur l’autre de chaque costé des longues allées voûtées de ce cimetière, estoient les tombeaux des personnes du commun, mais que ceux des personnes de distinction estoient dans les chambres voûtées dont je voyois les portes d’espace en espace, à droite et à gauche. J’entrai dans sept de ces chambres ; elles sont carrées ; chacune était pour toute une famille. Les cavités en tiroir tiennent l’espace d’un coin à l’autre, l’une sur l’autre, et c’est la longueur d’un corps ordinaire. Mais, le costé où est la porte ne laisse qu’un espace d’un tiers plus encore, et c’est de ce costé où sont les tombeaux de ceux qui mouroient dans l’enfance qui, comme à Saint-Serge de Chartres, sont d’un tiers ou environ moins longs que les autres. »
(1) Lettre du 29 mai 1703.
(2) Cette basilique appartiendrait au siècle de Constantin. Ses chaires se nomment ambons. Les fresques de son portique sont remarquables.
Cette croix emmanchée, ne se retrouvant pas sur les deux autres tombeaux, présentait quelque chose de singulier ; on cherchait à expliquer la présence de cette croix. Désignait-elle un évêque, un patriarche, un métropolitain ?
Le 29 octobre, D. Mabillon répondit :
« La nouvelle découverte que vous venez de faire n’est guère moins curieuse. Ne seroit-ce pas le tombeau de Frotboldus, évesque qui fut tué par les Normans, l’an 858 ? Voyez le IIe tome de nos Analectes, p. 550, etc. :
« Le morceau de cuir (1) travaillé au fer chaud et formé par bandes peut estre la bande du devant du chasuble avec lequel il auroit esté enterré. Peut estre avoit-t-on coupé la teste à cet evesque, c’est-à-dire à Frotboldus duquel il est dit que cruentis gladiis mactatus est, et que c’est la raison pourquoy sa teste ne se trouve point dans ce tombeau.
Elle ne donne point ďautre indication, sinon que c’est un chrestien qui y fut enterré. »
On fit remarquer au P. Mabillon (2), quant à Frotbold, que, suivant les Annales de saint Bertin, il se serait noyé dans l’Eure en se sauvant de Chartres assiégé par les Normands (3). On ajoutait pouvoir prendre ce tombeau pour celui de saint Lubin (4) ; le corps était privé de son chef, lequel était conservé dans l’un des trésors de l’église de Chartres (5) ; et Chalétric fut inhumé auprès de saint Lubin, son prédécesseur. Ces deux tombeaux se trouvant ensemble, on devait supposer, celui de saint Chalétric une fois reconnu, que l’autre était celui de saint Lubin.
(1) C’était un morceau de cuir brun de deux ou trois doigts de large travaillé avec soin et formé par bandes au fer chaud, l’une de trois filets de relief, une autre percée d’une infinité de petits trous semés par ordre dont l’entre-deux était de relief en forme de chagrin ; la suivante était de trois filets et celle d’après de ces petits trous et ainsi de suite. Était-ce une sandale ou un autre ornement ecclésiastique ? (Lettre au P. Mabillon).
(2) Lettre du 8 novembre.
(3) Pridie idus junii an. incarnationis dominicæ octingentesimo quinquagesimo octavo indictione sexta a paganis sequanensibus facta est magna cœdes Carnoti in qua interempti sunt Frotboldus episcopus, Stephanus presbiter (Nécrol.).
(4) Il y avait dans le cloître, près de l’église, une chapelle dite de Saint-Lubin.
(5) Il était renfermé dans un buste en vermeil de 0m,682 de hauteur, couvert en pierreries.
à suivre…