Aux questions qui parviennent au rectorat de la cathédrale – surtout au travers des guides du Service Accueil-Visites – nous répondons parfois en images. Les sujets sont variés et mettent parfois en relief des aspects insoupçonnés de la cathédrale…

J’ai eu la surprise, à l’exposition « Dieu(x) mode d’emploi », au Petit Palais, de voir le Tabernacle de saint Aignan, signalé comme appartenant au trésor de la cathédrale. En introduction de toute l’exposition, le contexte (vitrine, cartel) lui donnait statut d’un objet culturel. Or, il me semblait l’avoir déjà vu lors d’une veillée d’adoration à la cathédrale – pour la soirée du jeudi saint. Quel est son statut ? Est-il une œuvre « muséale » ou un objet « utilisé » ?…

Tabernacle de saint Aignan © NDC

Cette question est passionnante et permet de rappeler qu’à Chartres, la vie liturgique, qui donne signification aux lieux, n’est pas déconnectée de la vie culturelle – l’une et l’autre s’enrichissant. Effectivement, le Tabernacle de Saint Aignan (datant du début du XIIIe siècle – le plus volumineux objet en émail champlevé de Limoges qui soit aujourd’hui conservé) a attiré de nombreux regards dans ce projet muséographique original, qui a marqué la saison parisienne.

« Dieu(x) modes d’emploi ». La France a pris l’habitude de vivre dans une société laïque, « mais certaines clés liées au sacré et au religieux ont été perdues », remarque Raphaëlle ZIADÉ, l’une des commissaires de l’exposition. Ce voyage au pays du sacré et de l’expérience religieuse n’est pas exhaustif bien sûr, car selon les ethnologues, il y aurait aujourd’hui plusieurs milliers de religions vivantes à travers le monde. Mais cette exposition a le mérite d’illustrer et de raconter, dans une dimension artistique marquée, comment le divin est appréhendé et pratiqué dans de nombreux pays du monde.

Que l’on soit croyant, agnostique ou athée, le parcours de « Dieu(x), Modes d’emploi » séduit par sa mise en scène spectaculaire. On entre dans le vif du sujet en pénétrant dans une forêt de divinités. Les trois religions du Livre – judaïsme, christianisme, islam, mais aussi les religions asiatiques et l’animisme sont illustrées et expliquées à travers leurs différences et leurs ressemblances. 160 chefs-d’œuvre, sculptures, peintures, manuscrits, objets d’art très anciens, mais aussi des pièces contemporaines en résonance avec le passé, traduisent le foisonnement des expressions du religieux et du sacré. Des films permettent de visualiser les rituels de la naissance, du mariage ou de la mort, une vidéo illustre la maîtrise et le contrôle du corps par les religions, des maquettes d’architecture et des photos sont consacrées aux lieux de culte, des dessins de Plantu évoquent les conflits religieux et des bornes médiatiques présentent des portraits de ceux qu’on appelle les intercesseurs, moines, prêtes, chamanes, sorciers ou guérisseurs.
De grands musées du monde entier (Branly, Louvre, Guimet, Cluny, musée d’art et d’histoire du judaïsme) ont prêté des œuvres qui, pour certaines, sortent rarement des réserves, notamment le British Museum avec des sculptures exceptionnelles de l’Inde hindouiste et bouddhique du premier au dixième siècle après JC, mais aussi des pièces superbes du christianisme médiéval et des religions animistes africaines ; et également un tableau de Nicolas Poussin, « La destruction du temple de Jérusalem », prêté par le Musée d’Israël – qui n’était pas revenu en France depuis trois siècles, et qui a appartenu au Cardinal Richelieu.

C’est l’historien et diplomate Elie BARNAVI qui a eu l’idée lumineuse de ce voyage sur le fait religieux.

Tabernacle de Saint Aignan © NDC
Tabernacle de Saint Aignan © NDC

Le prêt a été accordé par le propriétaire, l’État (Direction régionale des affaires culturelles) sur avis favorable de la conservatrice des monuments historiques, madame Irène JOURD’HEUIL, ainsi que par l’affectataire de l’objet, le rectorat de la cathédrale.

« Pour le christianisme, nous souhaiterions pouvoir emprunter le tabernacle de Saint Aignan pour l’importance de sa signification pour les chrétiens d’aujourd’hui en tant qu’objet de culte et également pour le motif des mains divines qui fait le lien avec la tradition iconographique juive où YAHVE, non représentable, est figuré, notamment, par sa main sortant du ciel. Nous pensons présenter cette œuvre en introduction de l’exposition avec des œuvres représentant des mains votives, cette fois-ci humaines, telles celles représentées sur une stèle du site de Hazor du XIIIe siècle avant Jésus-Christ appartenant à la civilisation cananéenne. La main de l’homme rejoindra ainsi la main de Dieu dans un beau symbolisme ouvrant l’exposition » – R. Ziadé / commissaire d’exposition.

« Nous serions effectivement très attachés, suite à nos récents échanges, au fait que l’objet soit présenté comme ‘vivant’. Cela pourrait se traduire notamment par une mention explicite sur le cartel.
Quant au sens de sa présence dans l’exposition, la scène de la Pentecôte (volets fermés) où les mains de Dieu s’ouvrent pour faire descendre des langues de feu sur la tête des apôtres, transmettrait un message positif, à la fois intuitif et théorique. Beaucoup y verront un ‘accueil’, à la façon dont on parle aujourd’hui d’une ‘main tendue’. Pour ceux qui prendront le temps d’en comprendre la signification exacte, l’œuvre souligne à la fois l’importance de l’Esprit Saint dans la vie du chrétien et la gratuité de cette offrande, sans cesse réactualisée
». G. Fresson / pour le recteur de la cathédrale, le chanoine Dominique Aubert.

 

Quelques semaines plus tard, le tabernacle, déplacé avec d’extrêmes précautions de protection et de sûreté, retrouvait pour une soirée, son rôle initial : servir de reposoir au Saint Sacrement.

Dans la crypte de Notre-Dame de Sous-Terre, à l’issue de la commémoration du dernier repas du Christ, soit au sommet « eucharistique » de l’année, le pain consacré, porté en procession par l’évêque depuis l’autel principal de la cathédrale, a été enfermé dans ce tabernacle : on a vu fugitivement, quand les volets se sont ouverts, la scène de la crucifixion, commémorée le lendemain.
Les personnes présentes sont restées près de deux heures devant l’autel de Notre-Dame de Sous-Terre, dans un temps de prière personnelle, rythmé par les chants méditatifs des membres de la communauté du Chemin Neuf.
L’insigne beauté du tabernacle, sans rien changer au sens profond de cette veillée « à Gethsemani » (nom du jardin des Oliviers où le Christ a prié avec ses apôtres avant son arrestation) y apporte ainsi un surplus de prière, associant celle des artistes du Moyen Âge à la nôtre.