Retour sur la vie d’Étienne Houvet : Marie Houvet, souvenons nous…
Extrait de la publication « Étienne et Marie Houvet, Chantres de Notre-Dame »
Selon l’adage : tel père tel fils, pour comprendre la vie de Mademoiselle Marie Houvet, ses qualités artistiques, sa mission à la cathédrale de Chartres, il est nécessaire dans un premier temps de regarder la vie et l’œuvre de son père : M. Étienne Houvet.
Né à Cercottes (Loiret), le 18 Juin 1868, rien ne semblait prédisposer Étienne Houvet à devenir le célèbre guide de la cathédrale. Marié à Marie, Yvonne Thomas, il a accepté à 29 ans, de devenir sacristain de la cathédrale afin de mieux subvenir à la charge de ses vieux parents.
Pendant neuf ans, il remplit sa fonction sans bruit. Mais tout en veillant sur les lampes à huile de la crypte, son âme contemplative s’imprégnait lentement de l’incomparable gloire du sanctuaire.
Devenu guide de la cathédrale, voyant que nombre de visiteurs avaient peine à découvrir les scènes merveilleusement peintes dans les hautes verrières, il eut l’idée géniale de les mettre à la portée de tous, grâce à la photographie. Il fabriqua lui-même la tour de bois roulante qui lui permit de prendre dans les meilleures conditions possibles les clichés qu’il développait lui-même.
Et c’est Monsieur le chanoine Delaporte qui lui enseigna une façon originale de faire ses clichés en appliquant directement sur les vitraux une plaque sensible. Ce fut le succès : il publia différentes monographies de la cathédrale mettant en valeur tant les éclatantes verrières que les admirables sculptures exécutées par les imagiers du Moyen Âge.
Savamment conseillé et aidé par M. le chanoine Delaporte, les photos furent magnifiquement accompagnées de texte qui permirent aux lecteurs d’entrer dans les arcanes du trésor de Chartres.
Mais le guide qu’était avant tout Étienne Houvet, obtenait un succès grandissant auprès de ses visiteurs, qu’ils fussent humbles ou savants, comme en témoigneront les propos de haute considération adressés à sa fille, Marie Houvet après la mort de son père, le 25 avril 1949.
C’est que M. Houvet puisait son inspiration dans la prière, dans le rosaire, en particulier.
Dans la méditation quotidienne devant le Saint-Sacrement de l’autel, nombre d’évêques, de pères abbés, de prêtres, de religieux, de religieuses, mais aussi de visiteurs de toute la France et de l’étranger ont rendu hommage à M. Houvet ; la République française également l’a honoré de son vivant déjà en lui décernant le grade de chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur.
Rien d’étonnant donc que sa fille, Mlle Marie Houvet n’ait été un digne successeur de son père.
Et pourtant, elle ne semblait pas d’abord se destiner à pareille vocation. Jusqu’à l’âge de quinze ans, Marie vit paisiblement au foyer d’Étienne et de sa mère, Yvonne, au 25, rue de Rechèvres, à Chartres. Elle joue souvent dans le jardin familial, d’où la vue sur la cathédrale est imprenable. Selon ses aveux dans sa correspondance, elle mène une vie chrétienne médiocre. Mais à l’âge de quinze ans, son désir d’union à Dieu par amour se développe, et nait dans son cœur la perspective d’une vie religieuse missionnaire.
Souvenons-nous que son père lui même étant enfant avait désiré être frère dominicain ; mais pour subvenir à ses parents dans le besoin, il avait renoncé à cette vocation première.
Marie, jusqu’à l’âge de 27 ans, s’activa intensément dans les œuvres paroissiales de la cathédrale, quelquefois même au détriment de sa santé. Son père voudrait bien se l’associer pour sa mission à la cathédrale, mais elle n’a aucun attrait dans cette direction.
En 1937, la tiédeur envahit son âme, sans doute parce qu’elle s’active trop à l’extérieur.
En 1939 (elle a 25 ans), les médecins la déclarent atteinte par la tuberculose pulmonaire.
Cette maladie, et la mort d’un enfant qu’elle aimait beaucoup, produisit en elle comme un électrochoc. Elle promet alors de s’unir à Jésus et de se donner aux âmes.
Elle décide donc de seconder son père comme guide à la cathédrale. Elle étudie, comme l’avait fait son père dans sa jeunesse, les œuvres d’Émile Mâle sur le sanctuaire et l’art gothique en général. Elle questionne beaucoup le grand spécialiste de notre cathédrale, Monsieur le chanoine Delaporte ; elle se met surtout à l’école de son vénéré père dont la renommée est à son apogée.
Parallèlement à cette activité intellectuelle et artistique, elle fait vœu, en 1943, le 8 décembre précisément, d’être la servante de Notre-Dame à la cathédrale.
Elle aura alors pour père spirituel le vénéré Monseigneur Boucher, vicaire général de Monseigneur Harscouët, président national des œuvres mariales !
Sous la conduite d’un tel maître, elle se fait un règlement de vie spirituelle qui sera l’âme de ses activités pastorales.
Ce règlement est inspiré de la spiritualité des filles de Saint François de Sales auxquelles elle vient d’adhérer :
– Prière méditée le matin,
– Messe ou visite au Saint Sacrement,
– Lecture spirituelle après déjeuner,
– Visite au Saint Sacrement en soirée.
Son père lui-même ne faisait-il pas alterner dans sa journée prière et visite guidée ?
Son père portait, rappelons-nous, à certains jours un cilice de pénitence.
Marie demanda à son père spirituel si elle pouvait le porter de temps en temps. Refus catégorique de Monseigneur Boucher. « Soyez fidèles aux petites choses de la vie quotidienne, et confiez-vous à la Mère admirable », lui écrivit-il. Sage conseil en vérité que Marie observa scrupuleusement.
En 1949, comme nous l’avons vu, Marie a la douleur de perdre son père, auquel le milieu ecclésiastique chartrain et ses auditeurs répandus à travers le monde rendirent un vibrant hommage.
À sa demande, appuyée par les autorités ecclésiastiques, le ministère des Beaux-Arts lui accorda, comme à son père, le titre de guide officiel des monuments historiques avec obligation de faire une ou deux conférences guidées quotidiennes.
En réalité, à ces conférences officielles, elle ajoutera plusieurs visites à des groupes particuliers qui constitueront une véritable catéchèse et lui mettra le cœur en fête.
Quelle joie, en effet, de faire parler ces images peintes dans les verrières, ces merveilleuses sculptures qui racontent la vie de Jésus, préparées par les scènes de l’Ancien Testament (surtout au portail nord) déployée au portail royal et continuée par la vie des Saints au portail sud.
Elle les présentait, le plus souvent, dos tourné à la scène, laissant parler en abondance sa science, son cœur et sa foi.
Elle en parlait avec tant de précision, de vie, de flamme et d’amour qu’elle subjuguait son auditoire et lui donnait envie de poursuivre encore et encore sa visite, au point qu’elle en était souvent exténuée.
Heureusement que Marie sut s’entourer d’une équipe de guides auxiliaires qui la seconda merveilleusement dans son œuvre. Cette équipe, ainsi que Monsieur le chanoine Delaporte toujours vivant jusqu’en 1979, la conseilla efficacement pour la poursuite des éditions Houvet et la gestion du magasin de souvenirs relatifs à la cathédrale, autorisé par le clergé d’abord à la chapelle Saint Piat, puis au fond de la cathédrale où il se trouve actuellement.
Nommé curé de la cathédrale par Monseigneur Kuehn en 1979, quelques mois après la mort du chanoine Delaporte, je ne tardai pas personnellement à apprécier le travail pastoral de Marie Houvet et de son équipe et me liai d’amitié avec elle.
Ayant toujours été fragilisée dans sa santé par la maladie qui l’atteignit lorsqu’elle avait vingt-cinq ans, elle ne tarda pas à me dire : « Mon père, il faut penser à la relève, je ne pourrai plus longtemps rester à la tête de cette œuvre, trouvez-moi quelqu’un que je pourrais former ».
Alors, ayant appris qu’une sœur de Kermaria avait fait les Beaux-Arts et qu’elle allait terminer son année de recyclage, je pris mon bâton de pèlerin et fus trouver sa provinciale à Rennes.
« À Chartres il y a une mission d’évangélisation remarquable pour une sœur, grâce aux visites de la cathédrale, lui ai-je dit en substance. Je sais que Sœur Anne-Marie va bientôt être disponible. Pouvez-vous nous l’envoyer pour cette mission ? »
« Notre prochain conseil va étudier cette proposition », me répondit Sœur Annick.
Et quelques semaines plus tard, j’eus la joie de la recevoir à Chartres, afin de peaufiner le projet envisagé.
Enfin je reçus une réponse affirmative en juin 1981, ce qui remplit de joie la chère Marie Houvet. Elle était prête à chanter avec Siméon son « Nunc dimittis , maintenant, je peux partir ».
Il y eut d’abord « tuilage » entre elle et Sœur Anne-Marie.
Puis Marie Houvet, de plus en plus fatiguée, s’éclipsa peu à peu.
Ce ne fut pas sans une certaine amertume, une souffrance même que Marie céda la place, tant « sa cathédrale » comme elle disait, avait envahi toute sa vie. Mais elle en fit le sacrifice intérieurement et généreusement pour la continuation de l’œuvre.
Le 14 septembre 1989 au matin, quelle ne fut pas ma surprise de recevoir un coup de téléphone de Bruno, son voisin : « Venez vite, Mlle Houvet est décédée cette nuit ».
Je me rendis en hâte à son domicile et ne pus que constater la pénible réalité.
Marie, dans son sommeil, était passée de cette terre à la gloire du ciel ; elle devait chanter les louanges du Seigneur avec les vieillards de l’apocalypse accompagnés des musiciens qu’elle avait si souvent contemplés dans la rosace sud de la cathédrale.
Ses obsèques furent célébrées dans cette cathédrale qu’elle avait tant fait admirer au cours de ses visites, dans laquelle elle avait tant prié ; elles furent présidées par monseigneur Kuehn, évêque de Chartres en présence de nombreux prêtres et d’une foule de fidèles et anciens auditeurs attentifs aux paroles qui furent prononcées en ce jour .
Monseigneur Kuehn : « Mademoiselle Houvet, dit-il, a consacré sa vie pour le service du Seigneur, dans un attachement plein de tendresse pour la sainte Vierge, sa patronne. Sa cathédrale, c’était le lieu de sa prière et de ses joies esthétiques et spirituelles, c’était aussi le lieu de son service du prochain ».
En tant que curé de la cathédrale, je poursuivis : La source de votre mission, nous la trouvons dans ce passage de vos notes spirituelles. « Élue providentiellement pour être l’heureuse petite servante de la servante du Seigneur, je veux me disposer à tout voir à la seule lumière de l’amour divin, à tout entreprendre par amour sous la conduite et avec l’aide maternelle de Marie ».
« Votre mission, ajoutai-je, vous l’avez vécue comme une vocation, presque un sacerdoce. C’est ce qui a alimenté votre vie vécue dans la foi, l’humilité, la pauvreté, une exquise charité qui vous mettait spontanément à l’écoute des autres, ne jugeant jamais les personnes, excusant tout, faisant confiance en tout. Chère Marie, obtenez-nous du Seigneur de suivre vos traces durant notre pèlerinage terrestre, afin d’être à notre tour serviteur de la Servante du Seigneur, pour vous rejoindre un jour dans cette maison de Dieu dont notre cathédrale dans toute sa splendeur n’est qu’un petit reflet de sa beauté infinie ».
Lorsque le cortège descendait la nef de la cathédrale avant d’aller au cimetière Saint-Chéron, le soleil inondait le vitrail du mystère Pascal. Alors contemplant l’image du crucifiement puis celui de la transfiguration, tout auréolé et celui de l’apparition du Ressuscité aux Saintes femmes, je ne pus m’empêcher de murmurer en pensant à Marie : « Il fallait que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire ».
« Marie, pour accomplir votre mission à la cathédrale, vous avez dû renoncer à beaucoup de relations d’enfance, vous avez dû interrompre des relations amicales, vous en avez souffert mais aujourd’hui vous allez jouir de la gloire du Ressuscité. Entrez dans sa joie ».
Et maintenant, du haut du ciel, Marie doit se réjouir grandement de voir que le service des visites créé par son père, poursuivi par ses soins, non seulement n’a pas péri mais s’est développé merveilleusement.
Sœur Anne-Marie d’abord, avec sa compétence artistique, sa vaste culture, son enthousiasme, non seulement a continué la mission de Marie Houvet, mais l’a portée à un haut degré de perfection, créant un espace d’accueil et des expositions temporaires dans la cathédrale.
Après son départ, c’est Madame Deboos qui assure la continuité entourée d’une équipe dont la compétence n’a d’égal que le dévouement.
Merci Étienne, merci Marie, d’avoir donné l’impulsion initiale à un service qui produit des fruits si savoureux pour la joie des auditeurs et la gloire de Notre-Dame.
Notre-Dame, représentée 175 fois dans notre cathédrale mais porte toujours sur ses genoux son Fils béni et semble nous dire comme à Cana : « Faites tout ce qu’il vous dira ».
Abbé Joseph Hercouët †
Chanoine titulaire de la Cathédrale
Directeur des pèlerinages diocésains