Comment Étienne Houvet est-il devenu photographe, puis éditeur ?

Extrait de la publication « Étienne et Marie Houvet, Chantres de Notre-Dame »

Grâce aux photographies d’Étienne Houvet, nous sommes en mesure de découvrir dans le détail les sculptures de la cathédrale de Chartres, privilège avant lui réservé aux hirondelles, comme l’a écrit d’une façon si pittoresque Émile Mâle.

Étienne Houvet est né le 18 juin 1868 dans le bourg de Cercottes, à quelques kilomètres au nord d’Orléans. Les parents Houvet avec leurs deux fils (Joseph, l’aîné, et Étienne, son cadet de quatre ans), arrivent à La Bazoche-Gouet, dans le Perche, vers 1870. Ils tiennent dans la Grande Rue un commerce d’épicerie et de mercerie. En 1881 le père, Nicolas, est déclaré marchand drapier. Les deux frères travaillent avec leurs parents ; Étienne fera les tournées dans la campagne, travail peu lucratif.

En 1897, il arrive à la cathédrale de Chartres ; d’abord domestique à la maîtrise, chargé de l’entretien de la crypte, il devient en 1906 sacristain en l’église supérieure.
De la liturgie, il s’intéresse à l’architecture de l’édifice et en devient le gardien.

Sans fréquenter aucune école, il étudie l’histoire de l’art et s’initie à la photographie.
L’interprétation de la sculpture religieuse lui est facilitée par un sentiment religieux qui lui avait fait envisager quelques années plus tôt la vie monastique. Il bénéficie des publications qui restent aujourd’hui de grands classiques comme Émile Mâle, Camille Enlart, Henri Focillon.
Pour la photographie, son maître fut le chanoine Delaporte, familier de cette discipline depuis son jeune âge. C’est vers 1910 qu’Étienne Houvet commence à faire de la photo sans appareil ; il réalisa ses premières reproductions par application de papier sensible à impression lente. Il avait particulièrement réussi une image de la Vierge avec l’enfant Jésus, des grisailles de la chapelle Saint-Piat. C’est l’image souvenir qu’il édita pour son jubilé de service à la cathédrale en 1947.
Par la suite, il utilisa l’appareil d’un ami. Ce n’est qu’en 1914 qu’il s’équipa d’un 13 x 18. Progressivement, avec le produit de la vente de ses premiers travaux, il put compléter son matériel, en particulier un appareil 18 x 24, format des planches des albums, puis un 24 x 30.

Les prises de vue se faisaient avec un échafaudage roulant et une double échelle pour avoir le moins de déformation. Un artiste doit compter aussi avec l’heure du jour, observer les jeux d’ombres et de lumière susceptibles de donner un certain relief ou une vigueur d’expression à une physionomie. Le photographe doit chercher à donner une image fidèle de l’œuvre à reproduire ; opter pour une interprétation personnelle peut aboutir à une déformation de l’œuvre, voire une trahison.
Après l’édition d’un certain nombre de documents, Étienne Houvet envisage un travail méthodique, ce qui aboutira au projet d’un premier album de 96 planches, consacré au « Portail royal ». Aucun éditeur n’a voulu s’engager dans cette opération périlleuse.
Alors il se lance lui-même dans une véritable aventure. En 1919, il publie à compte d’auteur. Pour payer l’imprimeur, Faucheux, à Chelles, il doit contracter un emprunt et le garantir par le gage de sa propre maison.
Le succès est au-delà de toute espérance ; l’ouvrage, honoré d’une préface d’Émile Mâle, se vend très bien et lui permet de régler l’emprunt de 7000 francs.

Voilà qui le rend audacieux. Malgré une pleurésie au cours de l’été, il met en chantier deux nouveaux albums consacrés au portail nord, qui paraissent en janvier 1920. Ils présentent l’histoire du monde depuis sa création jusqu’à la mort de la Vierge. C’est ce portail que notre photographe affectionnait particulièrement pour toute la symbolique qui y est présentée : la figuration de la création, la silhouette ascétique de Jean-Baptiste qui invite à la conversion, les réalités de la vie quotidienne dans les travaux des mois.
Dans la même année, il réalise la publication de deux autres albums présentant le portail sud, celui de la nouvelle alliance : le Christ au milieu de ses apôtres, escorté des martyrs à sa droite et des confesseurs à sa gauche.

Cette année 1920 aura été très dure : un état de santé déficient, une angoisse morale occasionnée par un nouvel emprunt de 20.000 francs mettent notre homme à rude épreuve.
Heureusement, le succès du portail royal entraîne un succès renouvelé pour les quatre nouveaux volumes.
Après des jours sombres, Houvet se voit sauvé.
Il ne perd pas son élan ; en 1921 il livra au public un album sur l’architecture et malgré son peu d’intérêt pour la Renaissance, un autre sur les scènes de la clôture du chœur, et nous lui sommes reconnaissants – avec Émile Mâle – de nous avoir donné avec cette publication une leçon d’histoire sur la transformation de la sculpture française.

Une anecdote mérite d’être signalée ici sur les rapports d’Étienne Houvet avec Émile Mâle. Celui-ci venait de publier son ouvrage sur l’art religieux au XIIIe siècle en France ; il avait commis une erreur d’interprétation sur l’iconographie des tentations du Christ. Il se trouve à venir à Chartres et s’agrège à un groupe de visiteurs ; il suit les explications d’Étienne Houvet qui ne se gêne pas pour signaler la méprise d’Émile Mâle. Celui-ci, la visite terminée, sans se faire connaître, vient demander des explications au guide. Jouant un peu au provocateur, il lui demande sur quoi il s’appuie pour oser avancer sa contestation. Le plus simplement du monde, Étienne Houvet lui répond qu’il n’a fait que relire l’évangile. Le grand professeur le félicite et lui offre cet ouvrage, qui était au-dessus des possibilités d’achat de notre guide chartrain.

Les trois albums consacrés aux vitraux ont une histoire particulière. Ils sont en partie liés aux événements de la Grande Guerre de 1914-1918. Le récit en a été écrit par Ie chanoine Yves Delaporte dans son magistral ouvrage Les vitraux de la cathédrale de Chartres, 1926. En mai 1918, le ministère des Beaux-arts donna l’ordre de déposer immédiatement et de mettre en sûreté les vitraux anciens. La Société archéologique, dans une réunion de bureau du 23 mai et une assemblée générale deux jours plus tard, décide de faire exécuter des photographies de tous les vitraux. L’opérateur choisi fut M. Houvet, « déjà connu comme habile photographe ». Un échafaudage étant nécessaire, la Société vota une somme de 500 francs. La dépose devant commencer immédiatement, le 1er juin l’échafaudage était prêt à servir.

Le 6 novembre, la dépose était achevée. Le lendemain on apprenait que l’armistice était demandée. Malgré cette nouvelle, les vitraux de la chapelle Saint-Piat furent déposés dans le courant du mois de novembre. La dépose s’était trouvée justifiée puisqu’un chapelet de bombes tomba dans le quartier Maunoury-Reverdy le 15 août 1918. Pendant les travaux, M. Houvet avait pu précéder les verriers en travaillant soit sur son échafaudage, soit à partir des triforium. Ainsi fut constituée une collection à peu près complète de reproductions des vitraux. Si les photographies sont parfois médiocres, elles présentent un grand intérêt documentaire. Pour la publication, la publication des clichés des vitraux de la campagne de 1918 put être complétée par des prises de vue de détail effectuées en ateliers pendant les travaux de restauration – la repose ne s’acheva qu’en 1924. Il est assez vraisemblable que certains clichés de détails, intercalés parmi les planches d’ensemble, soient l’œuvre du chanoine Delaporte.

Les deux coauteurs ne travaillaient pas au même rythme. Il semble bien qu’Étienne Houvet était impatient de publier alors que le chanoine Delaporte faisait valoir que la rédaction ne pouvait s’improviser. Celui-ci précise dans son introduction à la réédition du Portail royal en 1950, que l’ouvrage sur les vitraux « porte le millésime de 1926 » et nous constatons que les remerciements d’Émile Mâle sont datés de 1927.
Les 943 clichés photographiques qui ont servi pour les dix albums de la monographie, imprimés en phototypie, ainsi que bien d’autres qui ont servi à l’édition de planches séparées, d’images, de cartes postales, d’impressions en couleur sur support plastique, sont conservés maintenant aux Archives du diocèse de Chartres.

Pour illustrer la notoriété d’Étienne Houvet, je crois qu’il faut rappeler la grande sollicitude – qui peut nous surprendre – qu’ont eue les Allemands avant de quitter notre territoire en 1944. Un général allemand a donné ordre de récupérer, « dans la maison d’un monsieur Houvet, une très importante collection de plaques photographiques de la cathédrale… pour que ce trésor artistique ne tombe pas entre les mains des Alliés ».
Les deux camions LKW chargés de cette mission ne purent arriver à Chartres, malmenés par l’aviation impitoyable.
Chartres aura eu plus de chance qu’Amiens où M. Regnault, l’homologue d’Étienne Houvet qui lui aussi avait réuni bon nombre de clichés, les a vus détruits par les bombardements et il en mourut de chagrin.
À la moitié du XXe siècle, on se plaisait à reconnaître qu’il y avait trois guides passionnés par leur monument : Houvet à Chartres, Regnault à Amiens et Barbier à Saulieu.
Étienne Houvet, outre le témoignage de sa foi, aura su faire partager son admiration pour la cathédrale à la fois dans ses visites guidées et dans les albums de sa monographie, placés sur les rayons des grandes bibliothèques.

Chanoine Pierre Bizeau †
Archiviste diocésain