Alors que vient de débuter l’échafaudage, puis courant octobre 2022 le démontage du grand orgue en vue de sa reconstruction, nous vous proposons un document exceptionnel publié en 2011, sur son histoire à travers les siècles : « Les grandes orgues », par Thierry Semenoux, technicien-conseil agréé pour les orgues protégées au titre des Monuments Historiques auprès de la Direction Générale des Patrimoines.

grand orgue - cathédrale de Chartres

L’orgue du XVIIIème siècle

L’orgue de Chartres a désormais pris sa composition de « croisière » jusqu’au XIXème siècle. Mais si la nomenclature des jeux ne change guère entre le XVIIème et le XVIIIème siècle, les réalités qu’elles désignent évoluent : le XVIIIème recherche plus de volume dans le son, et tend ainsi à privilégier les ensembles de jeux d’anches et à donner une nouvelle assise aux jeux flûtés. Tout ceci se fait en favorisant les tonalités les plus graves, donc avec des tuyaux plus volumineux (2) ce qui dans l’exiguïté de Chartres ne va pas aller sans poser de problème.

Dès 1702, nous retrouvons Henri Lesclop pour un marché plus important, 1500 livres, savoir 300 pour refaire le jeu de trompette et de cléron, qui sont trop faibles, et 1200 pour mettre à registres coulans led. Orgue au lieu de boursettes, ce qui est de longue durée et ne coute pas beaucoup à entretenir. Cette dernière mention semble indiquer que certains des sommiers de l’orgue (sinon tous) étaient encore à « trébuchet » et non pas à registre coulissant comme cela se fera classiquement en France et dans de nombreux autres endroits.

1736 voit de nouveaux travaux confiés à Jean Renault. Les travaux vont être vérifiés par un grand facteur d’orgues parisien, François Thierry. Ce facteur d’orgue au prestige bien établi sera élogieux pour le travail de son collègue mais demande que l’on renforce la puissance de l’instrument eu égard à la grandeur du vaisseau. Les travaux ne seront terminés qu’en 1742, et l’orgue a désormais la composition suivante :

(2) plus un tuyau est long, plus le son va être grave. L’échelle sonore présente dans l’orgue de Chartres s’étage sur des tuyaux allant de 1 cm de long à plus de 10 mètres.

Jean Renault (1736-1744)

Grand-Orgue

48 notes C1 à C5 sans C#1
Positif de dos

48 notes C1 à C4 sans C#1
Écho

34 ou 32 notes
Pédale

Ravalement au Fa
Montre 16Montre 8Cornet V rgs Flûte 12
Bourdon 16Bourdon 8Flûte 6
Montre 8Prestant 4Trompette 12
Bourdon 8Flûte 4
Récit
Prestant 4Nazard 2 2/3Cornet V rgs
Grosse Tierce 3 1/5Doublette 2
Nazard 2 2/3Quarte de Nazard 2
Doublette 2Tierce 1 3/5
Quarte de Nazard 2Larigot 1 1/3
Tierce 1 3/5Cornet V rgs
Fourniture IV rgsCymbale III rgs
Cornet V rgs (C3)Trompette 8
Trompette 8Clairon 4
Clairon 4Cromorne 8 neuf
Voix Humaine 8Dessus de Trompette 8

En 1771 le Chapitre fait badigeonner sa cathédrale par le milanais Borani ; de sorte que, depuis lors, murs, piliers colonnes, chapiteaux, formerets, arcs doubleaux, nervures, voûtes, tout est couvert d’une épaisse couche de badigeon beurre-frais. Cette déplorable opération a coûté 3000 livres au Chapitre (3).

24 ans après, un autre facteur célèbre, Adrien Lépine, va intervenir sur l’orgue pour un grand relevage avec peu d’aménagements nouveaux ; le programme a été défini suite à une visite faite par des membres du chapitre le 27 octobre 1780 et dont le rapport est fait lors du chapitre général du 10 janvier 1781 :
Led.sieurs de l’oeuvre et adjoints ont, le 27 octobre dernier, procédé à la visite de l’orgue et souflerie ; qu’il parait indispensable de demonter les six soufflets pour les netoyer, coler et redoubler, qu’il faut aussi demonter tous les tuyaux de l’instérieur de l’orgue, tous les jeux de la montre, netoyer tous les sommiers, relever les faux-sommiers, les chapes et les registres, racomoder et refaire à neuf les boursettes, demonter les quatre claviers de l’orgue et reparer tout l’orgue et le mettre d’accord. Il faut aussi augmenter de trois notes le ravalement de la pédale de trompette et celle de clairon ; que pour mettre led. Orgue en état et le netoyer parfaitement, le sieur Lépine facteur demande pour faire et fournir, non compris ce qui concerne la boiserie, trois mille cinq cent livres.

On remarque qu’aucune intervention n’est clairement prévue sur le buffet, sauf s’il y a nécessité, et elle se fera en supplément de coût. Probablement faut-il y voir une certaine prudence de la part du facteur.

La composition de l’orgue en 1781 se présente ainsi :

(3) Bulteau : Monographie de la Cathédrale de Chartres 1892

Adrien Lépine (1781)

Grand-Orgue

48 notes C1 à C5 sans C#1
Positif de dos

48 notes C1 à C4 sans C#1
Écho

34 ou 32 notes
Pédale

Ravalement au D
Montre 16Montre 8Cornet V rgs Flûte 12
Bourdon 16Bourdon 8Flûte 6
Montre 8Prestant 4Trompette 12
Bourdon 8Flûte 4Clairon 6 (?)
Prestant 4Nazard 2 2/3
Récit
Grosse Tierce 3 1/5Doublette 2Cornet V rgs
Nazard 2 2/3Quarte de Nazard 2
Doublette 2Tierce 1 3/5
Quarte de Nazard 2Larigot 1 1/3
Tierce 1 3/5Cornet V rgs
Fourniture IV rgsCymbale III rgs
Cornet V rgs (C3)Trompette 8
Trompette 8Clairon 4
Clairon 4Cromorne 8 neuf
Voix Humaine 8Dessus de Trompette 8

La période révolutionnaire

Durant le XVIIIème siècle l’orgue de la cathédrale de Chartres s’est « étoffé » pour mieux répondre aux attentes musicales de l’époque. Arrive le temps des changements. Le chanoine Métais, qui n’est peut-être pas d’une objectivité totale sur ces temps passés les présente ainsi :

Le sort des orgues pendant la Révolution ne pouvait être que douloureux. Les organistes ne firent aucune difficulté pour consacrer leur art aux parodies sacrilèges.

Le 25 janvier 1792, le sieur  Martin, facteur d’orgues demandait 72 livres pour avoir entretenu et accordé l’orgue de la cathédrale pendant 9 mois, à raison de 90 livres par an. Il ne fut payé que le 3 avril et reçut 96 livres. Le 9 mai le sieur Prota, organiste, recevait le premier quart de son traitement qui s’élevait à 1000 livres ; le deuxième quart lui fut soldé le 9 juillet. « Vu ses longs services, il se vit allouer une légère augmentation de 63 livres par décision de la municipalité du 8 janvier 1793 », mais ses fonctions étaient supprimées le 23 juillet suivant.
Toutefois le 16 décembre 1793, en pleine Terreur, Sergent, envoyé par la Convention fit observer aux administrateurs « que pour les fêtes décadaires, qui ont lieu dans le Temple de la Raison, l’orgue est l’instrument le plus propre à contribuer à l’éclat de la fête dans un édifice aussi vaste ». Le Conseil arrête aussitôt que « l’orgue du Temple sera conservé et que les citoyens Prota et Martin, artistes en ce genre, seront inviter à toucher de cet instrument tous les décadis ». En effet l’article XII du programme des fêtes décadaires prévoyait que « la fête serait terminée par un air exécuté sur l’orgue ».
Le culte catholique rétabli dès 1795, Prota présenta ses services et accepta le modeste traitement de 300 livres. Son successeur Lebucy ou Lebucq en 1799 et 1800 fut moins bien traité et recevait seulement 100 livres.

Le XIXème siècle

L’orgue passe donc sans trop d’encombre la période révolutionnaire. Il semble qu’il ait plus à souffrir de l’état du bâtiment que d’autre chose (4). À partir de 1804 un nouvel organiste est nommé, M. Bréham originaire de Bayeux. Il reste à son poste jusqu’à son décès qui survient en 1824. Les fabriciens se hâtèrent (après les plaintes des paroissiens privés d’orgue) de rechercher un nouvel organiste et leur choix se fixa sur M. Jamont, organiste de Saint-Laurent-de-Bonne Nouvelle à Paris, qui occupa ce poste pendant 10 ans.

(4) Au cours de l’année 1794, la grande nef fut découverte jusqu’au transept y compris, dans le but de récupérer le plomb destiné à fondre des « balles patriotes ». Elle resta dans cet état trois longues années, au grand dommage de la charpente et des voûtes dont le revêtement fut mis à mal par les perturbations climatiques. Au printemps 1797, on se décida à mettre fin à cette situation déplorable. On utilisa alors, à cet effet, des plombs, provenant de la démolition des autres églises chartraines et qui avaient été déposés dans la cathédrale. La chapelle Saint-Piat y perdit sa couverture d’origine. On n’hésita pas à démolir des verrières pour en récupérer les joints, sans se soucier de la qualité de ces œuvres d’art dont certaines étaient dues au talent des Pinaigrier, peintres verriers tourangeaux.

Le nouvel organiste ne tarde pas à s’inquiéter de l’état de  l’instrument. Un devis (5) est établi le 26 juin 1826 par un facteur d’orgue nommé Dominique Huët. Ce facteur serait (6) originaire de Caen. Il aurait été élève et peut-être parent de Jean-Baptiste-Nicolas Lefebvre et aurait participé au montage des orgues de Caen en 1781 (7). Il restaure l’orgue de la cathédrale de Blois en 1804. Il fait un important entretien à l’orgue de la Cathédrale de Coutances en 1827-1829. Il meurt le 11 janvier 1831.

(5) Archives Diocésaines du diocèse de Chartres
(6) J.-M. Bouvris : La construction de l’orgue de la cathédrale de Sées
(7) R. Galtier : La facture d’orgues française de 1800 à 1870

Dans son devis (dont nous n’avons que les deux dernières pages) il propose un programme de travail pour 17 300 Fr. La nota qu’il ajoute à la fin du document nous renseigne sur un détail de composition, mais nous apprend que ce Huët travaille en fait pour la cathédrale depuis 23 ans, donc depuis la nomination de l’organiste précédent, M. Bréham : observant que l’administration désire qu’une bombarde soit placée au grand-orgue, en place d’un trompette énoncée dans le devis ci-dessus à l’article premier, deuxième trompette à la main, cela fera une augmentation de sept cent francs, pour lors il n’y aurait qu’une trompette, clairon (ill.) bombarde à la main, ce jeu couvrirait trop les jeux ce l’orgue ; je préférerais les deux trompettes que le bombarde puisqu’il y en a une à la pédale, je laisse ceci à votre choix et j’ai l’honneur, messieurs, de vous prévenir que tant qu’au payement je donnerai toute facilité possible, tel que je fais depuis vingt trois ans que j’ai possédé la confiance de Messieurs les administrateurs de l’église cathédrale de Chartres.

Il est probable que ce travail ne fut pas réalisé, car 6 mois après la remise du devis (4 janvier 1827), un nouveau projet est remis à l’administration de la Cathédrale ; il émane de deux artistes mécaniciens et facteurs d’orgues, Pierre Jamont et Antoine Maheux. Du premier, on ne peut que noter son homonymie avec le titulaire de l’orgue (il signe Jamont père) et du second il aurait été un compagnon de Dallery. Le projet consiste en un grand relevage en état pour une somme de 6 000 Fr avec quelques additions qui ne sont pas comprises dans ce prix :
– faire une voix humaine en étain de 48 tuyaux ;
– faire un hautbois au positif de 25 tuyaux en étain ;
– faire un basson de 24 tuyaux ;
– refaire environ 27 tuyaux du clairon de grand-orgue qui ont été enlevés ;
– mettre la trompette de récit du positif au grand-orgue pour renforcer les dessus ;
– supprimer la quarte de Nazard, la tierce et la 4te (sic) du nazard du positif, jeux dont on ne sert plus et qui reserviront à recomposer le cornet d’écho dont il ne reste que quelques tuyaux qui sont pour la plupart écrasés.

En fait on ignore si ces travaux ont bien été réalisés. 7 ans après, en 1834, Dallery propose des travaux importants. L’orgue devra avoir la composition suivante :

Projet Dallery (1834)

Grand-Orgue

54 notes C à F
Positif de dos

54 notes C à F
Écho

30 notes C à F ou F2 à C5
Pédale

Ravalement au F
Montre 16Montre 8Cornet V rgs Flûte 12
Bourdon 16Bourdon 8Bourdon 8Flûte 6
Montre 8Prestant 4Trompette 8 ****Trompette 12
Bourdon 8Nazard 2 2/3Clairon 6 (?)
Prestant 4Doublette 2
Récit
Grosse Tierce 3 1/5Flûte **Cornet V rgs
Nazard 2 2/3Tierce 1 3/5Hautbois 8 ***
Doublette 2Larigot 1 1/3
Trompette 8 *Cornet V rgs
Fourniture IV rgsCymbale III rgs
Cornet V rgs (C3)Trompette 8
Trompette 8Clairon 4
Clairon 4Cromorne 8 neuf
Voix Humaine 8 (?)
* jeu à anche libre** à la place de la quarte*** nouveau jeu
**** ancienne dessus Pos

Une fois de plus les travaux ne seront pas réalisés. De nouvelles propositions émanent, à la même époque d’autres facteurs d’orgues, les frères Claude, Abbey, Guérin, Callinet. Face à ce choix, à la pression insistante que certains candidats exercent auprès de son administration (en particulier les frères Claude) l’évêque ne sait que choisir.

Le 4 juin 1836 un incendie détruit entièrement la charpente de la Cathédrale. La charpente est reconstruite en fonte. L’interrogation quant à l’avenir de l’orgue demeure : l’évêque charge M. de Grenet de mener une enquête sur les facteurs d’orgues du moment. Celui-ci se rend à Orléans pour examiner l’orgue de la Cathédrale que Louis Callinet vient d’installer, puis à Paris pour voir d’autres facteurs, dont un certain Cavaillier (il s’agit en fait d’Aristide Cavaillé-Coll) qui a construit l’orgue de Notre-Dame de Lorette (..) l’orgue qu’il a construit n’étant pas encore terminé on ne sait pas s’il sera bon.

Un nouveau projet de John Abbey, non de restauration mais de reconstruction, est établi, ainsi qu’un autre projet par Louis Callinet. Mais tout se complique puisque le devis de Callinet soulève la question épineuse de la position de l’orgue dans l’édifice, question déjà posée au XVIème siècle. La discussion qui va s’ensuit déborde largement l’ambiance plus ou moins feutrée du Chapitre ou des seules instances cléricales. Une véritable polémique s’engage, avec publication de textes. L’évêque fait de nouveau appel à M. De Grenet pour dégager un avis : celui-ci dans un rapport détaillé se déclare favorable au maintien de l’orgue dans son positionnement actuel.

Les partisans du déplacement avancent les arguments suivants :

  • l’orgue actuel a de trop petites dimensions pour que l’organiste puisse développer tous ses talents et rendre au culte toute la majesté qui lui convient ;
  • la cause de tous les désordres est la situation de l’orgue adossé à une muraille et à des vitraux qui dégagent beaucoup d’humidité néfaste ;
  • son état est devenu irréparable dans sa position actuelle.
  • puisqu’il faut reconstruire l’orgue de la cathédrale, autant lui donner un emplacement plus favorable et faire un buffet qui réponde à la beauté de cet édifice ;
  • l’usage en sera bien plus facile, puisque au lieu de monter, non sans danger, plus de cent marches pour le toucher, vingt marches suffiront pour y conduire, et que la position des tuyaux et soufflets sera à l’abri des ordures et de l’humidité que procure le placement actuel des orgues ;
  • Le son se propagera beaucoup mieux en ligne droite qu’en latérale.

À ce tract anonyme répondra un autre tract plein d’ironie pour demander le maintien de l’orgue dans sa situation.
Mais une fois de plus c’est le « nerf de la guerre » qui sera déterminant pour l’avenir de l’instrument. L’évêque n’obtenant aucune aide de l’Administration va donc opter pour un programme plus modeste et fait appel en 1844 au facteur Jean-Baptiste Gadault.
Les origines de ce facteur sont peu connues. On ne sait avec certitude s’il a été l’élève de Dallery (9). On le trouve tout d’abord installé en 1822 comme facteur d’orgues et de serinettes, 34, rue Neuve Saint-Denis à Paris. En 1823 il est l’auteur de l’orgue de Toucy (Yonne). Il travaille également su l’orgue de Ligny-le-Chatel (Yonne) en 1829-1830 et construit en la même année un orgue au collège des Jésuites de la rue de Vaugirard à Paris tout en faisant le relevage de l’orgue de la Cathédrale de Coutances. On le trouve également à Rennes (église Saint-Étienne) en 1839. Durant ces périodes il est installé 118, rue Menislmontant à Paris. En 1843, parallèlement aux travaux à la cathédrale de Chartres (après avoir construit l’orgue de Saint-Aignan de Chartres en 1842), il travaille de nouveau à Coutances ainsi qu’à Saint-Louis des Invalides à Paris. C’est donc une entreprise apparemment en pleine activité qui est choisie pour l’orgue de la Cathédrale.
Pour couvrir les frais, l’évêque fera imprimer une lettre d’appel à dons qui sera distribuée dans le diocèse.

Le marché est signé le 10 Mai 1844.

(9) R.Galtier op. Cit.

Jean-Baptiste Gadault (1844) projet

Grand-Orgue

54 notes C1 à F5
Positif de dos

54 notes C1 à F5
Écho

30 notes C3 à F5
Pédale

24 notes C1 à B2
Flûte 16Flûte 8Bourdon 8Flûte 8
Bourdon 16Bourdon 8Cornet V rgsFlûte 4
Flûte 8Flûte allemande 8Trompette 8Bombarde 16
Bourdon 8Prestant 4Trompette 8
Dessus de Flûte 8Nazard 2 2/3
Récit 37 notes F2 à F5
Prestant 4Doublette 2Flûte 8
Quinte 2 2/3Trompette 8Cornet V rgs
Doublette 2Clairon 4Hautbois 8
Cornet V rgs (C3)Cromorne 8
Bombarde 16Cor (basse)
1ère Trompette 8Hautbois 8 (dessus)
2ème Trompette 8
Clairon 4
Voix Humaine 8 (?)

On remarque dans ce projet, compte-tenu de l’époque, plusieurs particularités : les demi-claviers d’écho et de récit sont maintenus, non pas tellement pour raison d’économie, puisque les sommiers sont refaits à neuf.
Il y a deux souffleries différentes pour les basses et les dessus : est-ce simplement une précaution pour éviter les houppements trop perceptibles dans les dessus, ou cela peut-il signifier deux pressions différentes ?
Le marché est donc conclu pour la somme de 22 000 Fr. Mais le nouvel organiste de la Cathédrale, Adolphe Miné (ancien organiste accompagnateur de Saint-Roch à Paris) va demander une mise au goût du jour. Adolphe Miné (1796-1854) fut également organiste à Saint-Eustache entre 1833 et 1844. Il est resté célèbre comme auteur d’une méthode d’orgues et a produit une musique que n’aurait pas renié Lefébure-Welly. Il faut donc à cet artiste parisien les moyens d’exprimer le style de musique d’orgue apprécié à son temps. Rappelons ce qui s’écrivait dans la presse musicale lors de l’inauguration de l’orgue Cavaillé-Coll de Notre-Dame de Lorette en 1838 : « des mouvements de valses, des mélodies coquettes et mondaines, rappelant l’Opéra et la salle Musard, voilà ce qu’on fait entendre les pianistes qui étaient venus essayer le nouvel instrument. C’est une triste vérité, mais il faut le dire : l’art de toucher l’orgue est en plein décadence aujourd’hui ».
Miné demande donc la suppression des deux demi-claviers et la construction d’un récit de 37 notes en précisant : ce système de clavier est maintenant adapté pour tous les grands orgues de facteur moderne.

À l’achèvement des travaux la composition s’établira en fait comme suit :

Jean-Baptiste Gadault réalisation

Grand-Orgue

54 notes C1 à F5
Positif de dos

54 notes C1 à F5
Récit

37 notes F2 à F5
Pédale

24 notes C1 à B2
Flûte 16Flûte 8Flûte 8Flûte 8
Bourdon 16Bourdon 8Bourdon 8Flûte 4
Flûte 8Flûte allemande 8Prestant 4Bombarde 16
Bourdon 8Prestant 4SesquialteraTrompette 8
Dessus de Flûte 8Nazard 2 2/3Gifaro
Prestant 4Doublette 2Voix humaine 16
Quinte 2 2/3Trompette 8Cor anglais (anche libre)
Doublette 2Clairon 4Hautbois 8
Cornet V rgs (C3)Cromorne 8
Bombarde 16Cor (basse)
1ère Trompette 8Hautbois 8 (dessus)
2ème Trompette 8
Clairon 4
Voix Humaine 8 (?)

Jean-Baptiste Gadault est décédé le 5 décembre 1845. Les travaux sont achevés par son atelier qui est alors représenté par son épouse. On imagine facilement que la transition ne se fera pas sans mal. Un mémoire est établi par la veuve Gadault ; ce document nous permet de connaître les travaux réalisés et non prévus dans le marché, en dehors du récit, tout du moins selon l’entreprise de facture d’orgue. Nous notons en particulier :

  • deux soufflets à Coustiques (sic) :une partie de cette soufflerie construite avec du vieux bois de l’ancienne, mais les pompes, les bascules, tréteaux sont entièrement neuves.
  • une flûte de 16 en étain entièrement refaite. GO
  • un dessus de flûte 8 entièrement neuf. GO
  • une trompette grosse taille entièrement neuve. GO
  • une bombarde de 16 pieds forte taille entièrement neuve. GO
  • sexquialter neuve. REC
  • gifaro neuve et étain du Mexique. REC
  • cor anglais neuve à anche libre.
  • tous les jeux d’anches sont montés à l’anglaise (excepté le clairon, le cromorne et la trompette du positif) cette amélioration ayant paru indispensable attendu l’état d’oxydation des pièces de ces différents jeux. Cette opération leur rend toute leur solidité primitive.
  • ce jeu (flûte 16 de pédale) composés de gros tuyaux des grandes tourelles, parle à la pédale au moyen de grandes pièces gravée de 14 pièces (ill.). Il a été reconnu que les pédales proposées au devis, ne répondaient pas à la puissance des jeux d’anches en conséquence il a été établi un mécanismes d’accouplement qui augmentent la force de moitié. Cet accouplement indispensable sert également aux jeux d’anches à la pédale, qui ont été particulièrement remarquée par la puissance et leur bonne harmonie.
  • à la pédale on a ajouté des porte vents à double force pour obtenir le vent nécessaire à la consommation des jeux de grande taille. Ces porte vent sont à collier et pouvant facilement se déplacer en cas d’accidents imprévus.
  • on remarquera que toutes les substitutions de jeux sont à l’avantage de l’orgue ayant supprimé de très petits jeux, pour les remplacer par d’autres ayant beaucoup de valeur. Le plein jeux du positif a quatre fois la valeur de la petite tierce supprimée.
  • la pédale qui ne devait avoir qu’un 8 pieds et un 4 pieds a maintenant un 16 pieds et un 8 pieds.
  • ne sont pas compris dans le devis les frais de réparation du buffet consistant en travaux de consolidation de raccord des sculptures et relevage du plan d’aplomb de la galerie du positif, ferrures.

Le conseil de fabrique restera fixé sur la somme convenue de 22 000 Fr conforme au marché initial. Il acceptera seulement de verser 2 000 Fr de gratification au bout d’un an si l’orgue s’est maintenu dans un état de parfait fonctionnement.
Il apparaît cependant de vives tensions entre le conseil de Fabrique et l’organiste à partir d’un conflit entre ce dernier et Mme Gadault.
Le 8 janvier 1849, la fabrique achève de payer ce qu’elle doit grâce au produit d’une grande loterie qui rapportera la somme de 9 966 fr soit près de 5 fois la somme nécessaire pour solder le marché.

1850 voit des travaux architecturaux se réaliser au-dessus des chapelles latérales. Cela va donc toucher la soufflerie de l’orgue. Il est donc décidé quelques travaux d’amélioration pour ce poste. Il semble que le choix de Cavaillé-Coll se fasse « du haut » de l’Administration. Conséquence de cet état de fait, ou plutôt d’une méfiance sourde entre les deux hommes, Hamel émet un ensemble d’objections concernant le projet de Cavaillé. Il note que ce dernier semble maintenir un soufflet à lanterne et que donc le prix demandé est excessif. La réponse de Cavaillé sera cinglante, comme à chaque fois où sa compétence et sa probité sont remises en causes. Il se voit attribuer le travail en y ajoutant des interventions supplémentaires (nettoyage de la tuyauterie, regarnissage des soupapes des sommiers, accord général avec complète remise en harmonie pour rectifier, autant que possible, les inégalités choquantes qui existaient dans la plupart des jeux).

10 ans plus tard il apparaît que l’entretien fait par Charles Gadault, fils de Jean-Baptiste, ne donne plus satisfaction. On lui laisse, par charité, l’entretien de l’orgue de chœur qu’il a construit. Mais le 10 avril 1862 l’évêque demande aux établissements Merklin-Schüze de prendre en charge l’entretien des deux orgues du sanctuaire. C’est le contre-maître Paul Ferat qui est envoyé en premier pour faire l’entretien et établir un projet.
Une nouvelle composition est proposée après une nouvelle rencontre avec le conseil de Fabrique :

Charles Gadault (1865) projet

Grand-Orgue

54 notes C1 à F5
Positif de dos

54 notes C1 à F5
Récit

42 notes C2 à F5
Pédale

25 notes C1 à C3
Montre 16Montre 8Bourdon 8Flûte 8
Bourdon 16Bourdon 8Dulciana 8Flûte 4
Montre 8Gambe 8Voix Céleste 8Bombarde 16
Bourdon 8Prestant 4Flûte harmonique 4Trompette 8
Flûte harmonique 8Flûte 4Clarinette 8
Salicional (C2)Flageolet 2Hautbois 89 pédales de combinaison
Prestant 4FournitureVoix humaine 8
Octavin 2Trompette 8
Cornet V rgs (C3)Clairon 4
Bombarde 16Cromorne 8
1ère Trompette 8
2ème Trompette 8
Clairon 4

Le montant des travaux est de 32 000 fr. Le devis, qui présente deux projets très légèrement différents, est accompagné d’un rapport, qui, malgré des inexactitudes historiques (l’orgue est attribué à Clicquot) n’en est pas moins un descriptif de l’orgue de Chartres en 1862.
À ce devis va répondre une autre proposition qui émane d’un facteur belge installé à Paris depuis 1859 : Hippolyte Loret. La composition proposée approche de près celle de Merklin, par contre le coût en est bien moindre : 16 900 fr. De quoi laisser perplexes les décideurs ! Aussi ils refont appel en fin d’année à Charles Gadault pour reprendre l’entretien des orgues et établir un programme de travail. Celui-ci ne tarde pas, et annonce un rapport le 14 janvier 1863.
Le 20 juillet 1863, Merklin vient aux nouvelles. Le 30 juillet on lui renvoie les pièces qu’il avait communiquées à l’évêque (procès-verbal de réception de l’orgue de la cathédrale de Dijon) et on propose de le dédommager de ses frais de voyage. Merklin demande plus, rappelant que comptant avoir la commande de la restauration de l’orgue un de ses principaux employés était intervenu dans l’orgue à plusieurs reprises pour le faire fonctionner en attente d’un mieux et que l’étude du projet avait nécessité des plans. Merklin demande donc d’être dédommagé de 400 fr, il semble qu’il n’obtiendra que 250 fr.
Les travaux sont donc confiés à Charles Gadault le 9 octobre 1865 pour la somme de 10 650 fr. L’économie par rapport aux projets Merklin ou Loret va se révéler rapidement comme un gouffre financier. La séance du 27 juillet 1867 du conseil de Fabrique doit en effet examiner le marché. Il semble qu’un tiers des travaux seulement ait été exécuté et que les créanciers se soient précipités aux portes de la maison Gadault qui est déclarée en faillite.
Dans le compte-rendu du conseil on apprend que les travaux devaient commencer au mois de décembre 1865 et être achevés le 15 août 1866. Les travaux devaient être garantis pendant vingt ans (sic). L’organiste de la Cathédrale, Édouard Becker se joint aux plaintes : j’ai pu constater une fois de plus la médiocrité des instruments sortis de la soi-disante maison du sieur Gadault.

Pour espérer rentrer dans ses frais, le conseil de fabrique demande à la Préfecture par l’intermédiaire de l’évêque, l’autorisation de paraître en justice, pour y soutenir les droits de la fabrique contre le sieur Gadault, facteur d’orgues qui n’a pas rempli les engagements qu’il avait pris vis à vis de cette administration.
Il faut donc de nouveau trouver un facteur d’orgues. Les travaux sont confiés à Auguste Deceunynck demeurant 1, place Saint-Jean à Chartres. À l’occasion de ces travaux le nom de Cavaillé-Coll réapparaît à Chartres puisqu’il semble être venu expertiser les travaux de Gadault. L’orgue a alors la compositions suivante :

Merklin (1862) – achevé par M. Deceunynck (1868)

Grand-Orgue

54 notes C1 à F5
Positif de dos

54 notes C1 à F5
Récit expressif

42 notes C2 à F5
Pédale

24 notes C1 à B2
Montre 16Montre 8Flûte 8Flûte 16
Bourdon 16Bourdon 8Bourdon 8Flûte 8
Montre 8Flûte allemande 4Kéraulophone 4Bombarde 16
Bourdon 8Prestant 4Voix Céleste 8Trompette 8
Flûte 8Viole de Gambe 4Prestant 4
Prestant 4Doublette 2Doublette 2
Doublette 2Nazard 2 2/3Trompette 8
Cornet V rgs (C3)Plein-Jeu IV rgsVoix Humaine 8
Bombarde 16Trompette 8Cor Anglais 8
1ère Trompette 8Clairon 4Hautbois 8
2ème Trompette 8Cromorne 8
Clairon 4Dessus de Trompette 8

Il semble donc qu’à cette époque l’orgue soit encore à mécanique directe sans assistance. Les travaux sont  expertisés par le facteur Sergent, de Montigny les Cormeilles et par l’organiste et maître de chapelle de Saint-Nicolas des Champs, Mr Lafitte. Deceunynck va entretenir l’orgue durant 3 ans comme le prévoyait la convention de départ mais les utilisateurs ne semblent guère satisfaits, comme d’ailleurs ceux des autres paroisses de Chartres chez qui travaille également Deceunynck. Il est constaté pour le grand orgue de la cathédrale :

  • que plusieurs jeux sont hors de service, à cause de l’altération de l’accord qui se fait remarquer presque immédiatement après que le facteur s’est occupé de leur harmonie.
  • que la plupart des jeux d’anches sont irréguliers de sonorité, de notes inégales et rarement justes.
  • que les jeux de fond qui devraient se maintenir comme il arrive dans les instruments bien faits, celui de Dreux par exemple, se dérangent très facilement.
  • que le récit ne parle presque pas, vu qu’il a été mal embouché.
  • que la soufflerie ne fournit pas. Nous remarquons maintenant la justesse des observations faites par Mr Cavaillé lorsqu’il s’est plaint ou qu’il a témoigné son étonnement des modifications apportées par M.M. Gadault et Deceunynck à l’ancien mécanisme. Deceunynck a voulu alors inutilement réfuté Mr Cavaillé. Nous avons payé les frais de son invention.

Les plaintes portent également sur l’orgue de chœur. C’est Hippolyte Loret qui revient pour faire de petits travaux et faire l’entretien de l’orgue. Pour l’entretien courant il charge un certain Monsieur Jules de le faire sur place tout en regrettant ses comptes d’apothicaire comme on dit en Belgique. Loret pense qu’il faudrait faire des travaux plus importants sur le sommier du Positif, en profitant du fait qu’il est en chêne déjà ancien, ce qui est un avantage et qu’il faudrait également refaire toute la tuyauterie de ce clavier (sauf la façade) avec des tuyaux plus étoffés. Il met également en garde contre une possible chute de certains grands tuyaux de pédale.

Ce n’est qu’en 1881 que le facteur Abbey de Paris réalise une tranche importante de travaux (13 000 fr) qui, faute de moyens suffisants, ne portera que sur les transmissions et l’alimentation.

En 1899, c’est le futur président de la République, alors député d’Eure-et-Loir, Paul Deschanel qui intervient auprès du Ministère des Cultes pour que l’évêché puisse recevoir une subvention pour la restauration de l’orgue qui devient de plus en plus urgente.

…à suivre…