Alors que débutera dans quelques jours l’échafaudage, puis courant octobre 2022 le démontage du grand orgue en vue de sa reconstruction, nous vous proposons un document exceptionnel publié en 2011, sur son histoire à travers les siècles : « Les grandes orgues », par Thierry Semenoux, technicien-conseil agréé pour les orgues protégées au titre des Monuments Historiques auprès de la Direction Générale des Patrimoines.

grand orgue - cathédrale de Chartres

Vers la Renaissance

C’est dans le bouillonnement de la Renaissance que le Chapitre décide de travaux très importants sur le grand orgue : il faut rénover l’orgue construit 67 ans auparavant, mais aussi, et surtout, suivre l’évolution de la mode. Pour ce faire, il est fait appel au facteur d’orgues Robert Filleul avec qui un marché est signé le 16 novembre 1542. Le projet est une reconstruction complète qui témoigne avant tout de l’évolution portant sur le goût, l’utilisation de l’orgue et donc la facture d’orgue.
L’orgue du XVIème siècle est un instrument en pleine évolution. Après l’équilibre sonore trouvé au XVème siècle dans la facture des grands instruments (plans sonores distincts, synthèse de jeux de principaux pouvant commencer au 24 pieds et offrir jusqu’à 30 ou 40 rangs de plein-jeu dans les dessus, les basses étant groupées dans les tourelles de trompes), l’orgue Renaissance est un instrument de transition. Avec l’apparition de la pratique de la transcription de la musique vocale, se développe à l’orgue le jeu de détail grâce à l’extension du registre séparé, alors que l’orgue gothique était encore conçu selon le principe des registres solidaires, ou « blockwerk » qui ne permettait pas de faire sonner isolément les rangs de tuyaux.
Désormais, on recherche le timbre et la couleur, l’orgue prétend imiter les instruments de musique. De la lecture du marché on peut déduire la composition suivante pour l’orgue reconstruit par Robert Filleul :

Clavier principalPositif de dosPédale
Principal 12Cornet (jeu d’anche) 6Principal 24
Principal II rgs 6Principal 12
Principal III rgs 3
Principal VI rgs 1 1/3
Grande fourniture IV rgs
Petite fourniture VI rgs
Cymbale III rgs
Les chiffres arabes (12, 6, etc.) indiquent la longueur en pieds (pied du roy = 32,66 cm avant 1660) du plus grand tuyau de chaque série).
Les chiffres romains (II, III, IV, etc.) indiquent le nombre de tuyau parlant à chaque note.

Les claviers manuels et le pédalier commencent au Fa ; l’instrument compte neuf soufflets. De l’orgue de Gombault-Rougerie ne subsistent que certains éléments de tribune et du buffet. Pour ce marché très important Robert Filleul fait appel à un menuisier de Chartres, Roulland Foubert. Pour le buffet, ce dernier sous-traitera avec un sculpteur Jacques Beley, tailleur d’images. Dès lors, c’est durant ce long chantier (il s’achève en 1546) que l’orgue de Chartres va prendre l’aspect que nous lui connaissons aujourd’hui : largement renouvelé et développé dans sa décoration, à partir de la structure établie à l’origine par Gombault-Rougerie.

L’orgue connaîtra des réparations régulières (1581, 1598) entraînant des changements plus ou moins importants comme l’apparition de nouveaux jeux d’anches (Sacqueboute = trompette) et hautbois. À la fin de cette période l’orgue peut présenter la composition suivante :

Clavier principalPositif de dosPédale
Principal 12Cornet (jeu d’anche ?)Principal 24
Principal II rgs 6Hautbois (basses en bois)Principal 12
Principal III rgs 3
Principal VI rgs 1 1/3
Grande fourniture IV rgs
Petite fourniture VI rgs
Cymbale III rgs
Sacqueboute
Les chiffres arabes (12, 6, etc.) indiquent la longueur en pieds (pied du roy = 32,66 cm avant 1660) du plus grand tuyau de chaque série).
Les chiffres romains (II, III, IV, etc.) indiquent le nombre de tuyau parlant à chaque note.

L’orgue classique

16 années passent ; le délai peut paraître court, mais c’est une période de profond changement dans l’esthétique de l’orgue. On se dirige vers un nouvel équilibre que l’on pourrait nommer pré-classique. Pour ce faire, le Chapitre va s’adjoindre les services d’un facteur d’orgues alors au sommet de son art, Crespin Carlier. Il vient à Chartres en 1614. Ce facteur, originaire des Flandres, s’est illustré sur ses terres d’origines, mais surtout a fréquenté et collaboré à Rouen avec un musicien d’exception, Jehan Titelouze, dont il concrétisera les souhaits esthétiques en matière d’orgues. On ne dispose malheureusement pas des détails du marché, mais on sait que celui-ci fait allusion aux transformations du positif de dos, et des tourelles de trompe qui sont probablement à ce moment-là divisées en deux dans le sens de la hauteur et qui le resteront ainsi jusqu’en 1970. On peut cependant déduire la composition de l’orgue de Carlier des interventions documentées qui ont suivi ses travaux : deux claviers manuels et un pédalier.
En 1635 un nouveau marché est passé avec Robert Gouet, facteur rouennais (probablement dans la mouvance de Crespin Carlier). Il s’agit de faire un grand relevage de l’instrument en état, mais aussi de perfectionner l’alimentation en vent, et bien évidemment, malgré les lourdes contraintes architecturales, d’ajouter quelques jeux et un plan sonore d’écho dans le soubassement de l’orgue.
Les travaux donnent satisfaction puisque 12 ans plus tard (1647), on fait de nouveau appel à Robert Gouet. Probablement interrompus par son décès, les travaux sont terminés par deux autres rouennais, Jean de Héman (neveu de Valéran de Héman, apprenti puis gendre de Crespin Carlier) et Pierre Désenclos, suivant une nouvelle convention du 7 mars 1649. L’orgue a désormais trois claviers manuels et un pédalier.

Crépin Carlier (1614)

Grand-Orgue

48 notes C1 à C5 sans C#1
Positif de dos

48 notes C1 à C4 sans C#1
Pédale

Ravalement au Fa
Montre 16Montre 8Flûte 12
Bourdon 16Bourdon 8Trompette 12
Montre 8Prestant 4
Bourdon 8Flûte 4
Prestant 4Nazard 2 2/3
Flûte 4Doublette 2
Nazard 2 2/3Quarte de Nazard 2
Doublette 2Tierce 1 3/5
Quarte de Nazard 2Larigot 1 1/3
Tierce 1 3/5Cymbale III rgs
Fourniture IV rgsTrompette 8
Cornet V rgs (C3)Clairon 4
Trompette 8Cromorne 8
Clairon 4

17 années s’écoulent encore, avant une nouvelle campagne de travaux relativement importants de deux ans (1666-1668) confiée à Étienne Énocq. C’est très probablement à cette période qu’un quatrième plan manuel est installé.

En 1689, le gendre de Énocq, Henri Lesclop, intervient à son tour sur l’orgue. Il n’est pas seulement facteur d’orgues, mais  aussi marchand de livres de musique ; à l’occasion des travaux à l’orgue il passe une convention avec l’organiste Gilles Jullien afin de graver et de vendre son livre de 100 pièces d’orgues (qui ne seront en fait que 80 !).

Robert Gouet (1635-1647) / Achevé par Jean de Héman et Pierre Desenclos (1649)

Grand-Orgue

48 notes C1 à C5 sans C#1
Positif de dos

48 notes C1 à C4 sans C#1
Écho

34 ou 32 notes
Pédale

Ravalement au Fa
Montre 16Montre 8Cornet V rgs Flûte 12
Bourdon 16Bourdon 8Flûte 6
Montre 8Prestant 4Trompette 12
Bourdon 8Flûte 4
Prestant 4Nazard 2 2/3
Grosse Tierce 3 1/5Doublette 2
Nazard 2 2/3Quarte de Nazard 2
Doublette 2Tierce 1 3/5
Quarte de Nazard 2Larigot 1 1/3
Tierce 1 3/5Cymbale III rgs
Fourniture IV rgsTrompette 8
Cornet V rgs (C3)Clairon 4
Trompette 8Cromorne 8 neuf
Clairon 4
Voix Humaine 8

…à suivre…