par Félicité Schuler-Lagier, Interprète-conférencière au Centre international du Vitrail
avec l’aimable autorisation de Chartres Sanctuaire du Monde

 

Parmi toutes les richesses que contient le sol, ce sont bien les pierres précieuses qui, dès l’antiquité, ont attiré l’attention de l’homme. Leur beauté dépasse tout ce qu’il est possible d’exprimer avec la parole, et l’homme du Moyen Âge trouve en elles un infini de coloration et de caractères. La Bible en mentionne un certain nombre, et selon les théologiens, Dieu se sert d’elles pour nous faire connaître ses pensées. On vit les pierres précieuses au Moyen Âge étinceler sur les colonnes mêmes des églises, mais plus particulièrement sur les objets liturgiques et les vases sacrés, patènes, calices, encensoirs, et les reliures des évangéliaires, dépôts de la Parole divine. Rehaussant l’éclat des vêtements sacerdotaux, les gemmes, par leur couleur, leur éclat et leur solidité, figuraient le Christ : pour le peuple un motif de respect, et pour le prêtre un avertissement de n’en pas démériter. La couronne épiscopale que portait l’évêque au Xe siècle, un cercle d’or ciselé, emboîtant la tête comme une calotte sans fond, était également sertie de cabochons. Les reliquaires aussi, contenant les restes de grande valeur des saints, étaient rehaussés d’innombrables pierres précieuses, comme la Sainte-Châsse de Chartres, contenant le Voile de la Vierge, et dont Sébastien Rouillard, dans sa Parthénie, décrit la splendide ornementation.

Les pierres précieuses étaient habituellement mises en œuvre sous forme de cabochons, pierres polies de forme arrondie ou ovale. La taille en facettes ne date que du XIVe siècle.

Dans les lapidaires chrétiens où l’on donnait les explications symboliques ou allégoriques des pierres précieuses présentes dans la Bible, on souligne que toutes ces magnifiques gemmes proviennent principalement de trois substances aussi viles que la poussière (le sable), la terre (l’argile) et le charbon ! La cristallisation, que subissent au sein de la terre ces matières communes et sans valeur – le diamant n’est que du charbon pur ! –, était interprétée mystiquement comme la transformation morale de notre âme ici-bas, en vue d’une pleine perfection dans le sein de Dieu. C’est à ces riches joyaux, trésors partout recherchés, issus d’une transformation lente et sûre de grossiers éléments, que le Sauveur a comparé le royaume céleste et l’âme qui sait y aspirer (Mt 13, 45, 46).

Détail vitrail, lancette portail nord, Chartres

Fig. 1 – Le Rational du grand-prêtre Aaron, lancette portail Nord © NDC-fonds Gaud

Ainsi, douze gemmes les plus célèbres de la Bible sont celles qui ornaient, chez les anciens Hébreux, le Rational du grand prêtre Aaron (Fig.1), une pièce de broderie de forme carrée et d’un tissu précieux qu’il portait sur sa poitrine (Ex. 28, 1721) : « Tu y adapteras une garniture de pierreries, quatre rangées de pierreries. Première rangée : une sardoine, une topaze, une émeraude ; deuxième rangée : une escarboucle, un saphir, un jaspe ; troisième rangée : une opale, une agate, une améthyste ; quatrième rangée : une chrysolithe, un onyx, un jaspe. Ces pierres seront enchâssées dans des montures d’or ».

L’exégèse s’effectue à plusieurs niveaux, de la partie au tout, à chaque gemme, à chaque rangée, parfois même au rang de la gemme sur la rangée, et enfin, à l’ensemble des douze pierres du Pectoral.

Disposées sur quatre rangées, chacune formée de trois gemmes, elles exprimaient par leur nombre les vertus cardinales (Prudence, Tempérance, Force, Justice), et les vertus théologales (Foi, Charité, Espérance). Chaque pierre était attribuée plus spécialement à l’un des douze fils de Jacob, chefs et représentants des douze tribus.

Dans le Nouveau Testament, dans la vision de saint Jean (Ap. 21) de la Jérusalem céleste, ce sont également douze pierres les plus fines et les plus éclatantes, unissant leur incorruptibilité à celle de l’or, pour former de vastes murailles : le jaspe, le saphir, la calcédoine, l’émeraude, la sardonix, la sardoine, la chrysolithe, le béryl, la topaze, la chrysoprase l’hyacinthe, l’améthyste. Chacune d’elles symbolise un apôtre.

Pour chaque pierre, la glose s’appuie sur la symbolique des couleurs. Monochrome ou multicolore, chaque gemme s’enrichit de multiples senefiances. Ainsi, la rougeur de la sarde évoque à la fois la terre avec laquelle Dieu façonna Adam, mais aussi nos péchés et le sang du Vendredi Saint. Le saphir symbolise la tempérance, l’émeraude, la foi et la justice, l’escarboucle, la prudence.

Deux autres gemmes sont encore souvent mentionnées dans la Bible, le grenat, de couleur rouge, qui figurait la charité, et le diamant, d’une extrême résistance, qui est comparé à la force surnaturelle cachée au fond des cœurs chrétiens.

Toutes ces gemmes, à la signification mystique, représentent les dons divers que Dieu a mis dans ses Élus, les citoyens de la Jérusalem céleste, et que saint Paul (1 Cor 15,41) a comparé à des étoiles qui brillent de feux plus ou moins vifs.

à suivre…

 

Article original publié dans la Lettre de Chartres Sanctuaire du Monde (novembre 2020)