Extraits de L’Ancienne Maîtrise de N-D de Chartres du Ve siècle à la Révolution,
J. A. Clerval, Paris, 1899

La fête patronale des « enfants d’aube » de la cathédrale de Chartres rentrait dans la catégorie de celles qui suivaient Noël, et qui, de toute antiquité, dans la Cathédrale et les monastères, se célébraient par les clercs les jours mêmes de Saint-Jean, de Saint-Étienne, des Saints-Innocents, ou à leurs octaves dans les premiers jours de janvier.
Les diacres commençaient le jour de Saint-Étienne ; les sous-diacres continuaient le jour de Saint-Jean ; les enfants de chœur terminaient aux Saints-Innocents.
Les uns et les autres avaient peu à peu, sans doute sous l’influence des anciennes réjouissances païennes qui avaient lieu à cette époque, transformé ces graves et pieuses fêtes en fêtes légères et même bouffonnes.

(…)  À partir de 1507, il n’est plus question que de la fête des Saints-Innocents. Elle s’était développée avec toute la naïveté du Moyen Âge. Les enfants choisissaient l’un d’entre eux qu’ils nommaient leur évêque, comme les prêtres et les diacres élisaient un Pape. Ils le revêtaient de tous les habits pontificaux, du rochet, du camail, de la croix pectorale, du bâton pastoral et de la mitre. Eux-mêmes étaient habillés en chanoines, avec le surplis, l’aumusse et la chape, et ils occupaient les hautes stalles, tandis que les vrais chanoines occupaient les stalles inférieures. L’un d’eux était nommé grand chantre et en faisait les fonctions ; le Chapitre lui accordait même le bâton cantoral.

Le petit évêque officiait à la messe chantée par un chanoine et recevait les honneurs dus à sa dignité ; il se tenait au chœur sur l’un des sièges épiscopaux. Il donnait la bénédiction solennelle et offrait à baiser son anneau. Deux de ses camarades faisaient diacre et sous-diacre. Ce dernier montait au jubé et chantait la curieuse épître farcie des Saints-Innocents, sur une très belle mélodie. Après chaque phrase latine il disait la traduction française. En 1500, il y avait un hymne spécial pour cette fête commençant ainsi : Celsa pueri concrepent melodia.

Les Vêpres étaient aussi solennisées par les enfants, leur chantre et leur évêque, de la même manière. Et quand les offices étaient finis, ils sortaient chez leurs parents, ou bien quêtaient des étrennes par la ville. Malheureusement, à l’exemple des heuriers, ils se déguisaient et se livraient à divers excès. Le soir venu, ils se réunissaient à un banquet que le petit évêque leur offrait à l’aide d’une allocation annuelle du Chapitre. Ils invitaient ordinairement les chantres.

Chaque année, quelques jours avant cette fête, un enfant sollicitait l’autorisation de la célébrer, et toujours il l’obtenait. Mais, à cause des excès qui s’y commettaient, le Chapitre y ajoutait des restrictions qui devenaient avec les ans de plus en plus étroites. En la permettant de 1543 à 1546, il recommandait de s’y comporter modeste, non vagando extra domum nec ecclesiam. Mêmes réserves en 1554, 1565, 1569, 1578. Elles se retrouvent dans les statuts synodaux de 1550 : « Que ni les écoliers ni les clercs ou enfants de chœur, ni les prêtres, y lisait-on, ne fassent rien de fou ni de ridicule dans l’église, et qu’ils ne souffrent pas que personne en fasse aux fêtes de Saint-Nicolas, de Sainte-Catherine, et des Saints-Innocents ». En 1572, on avertit les enfants de passer leur fête modeste, nec sua indumenta mutando, absque vagando… more solito.

Cependant, les usages accoutumés continuèrent à être de plus en plus réduits. L’enfant qui officiait recevait encore l’hommage des chanoines. Plusieurs d’entre eux l’ayant refusé en 1674, il se plaignit : le Chapitre, lui donnant raison, décida de ne rien innover, et enjoignit aux opposants d’observer aussi fidèlement les cérémonies des Innocents que les autres. En 1700, il y eut une nouvelle plainte contre la cérémonie de l’évêque. Quelques-uns voyaient avec peine que cet enfant portât rochet, camail rond, bonnet carré, croix pectorale et chape. On la supprima définitivement le 24 décembre.

On abolit en même temps les congés et les sorties. Deux enfants seulement devaient aller chercher les gratifications. En 1707, les autres eurent beau demander la permission de sortir individuellement : elle leur fut refusée. Les choses restèrent en cet état au XVIIIe siècle. La fête fut maintenue à l’octave des Saints-Innocents, et, chaque année, un enfant, en présentant au Chapitre les souhaits de bonne année de la Maîtrise, sollicitait l’autorisation de la célébrer. Celui qui présentait cette requête, quelquefois l’un des plus petits, comme il arriva le 2 janvier 1711, adressait aux chanoines assemblés un discours en latin. En 1716 (4 janvier) et en 1718, deux d’entre eux tinrent un dialogue en cette langue, dans lequel ils offraient au Chapitre les vœux de bon an de leurs camarades, et lui demandaient la permission de célébrer leur fête, more solito, tout en se recommandant à ses libéralités. La subvention ordinaire de cinq livres, augmentée d’une gratification de 20 sols, personnelle aux petits orateurs, servait au repas que les enfants prenaient le soir, et auquel ils invitaient les heuriers matiniers pour les récompenser d’avoir chanté la messe De Beata à leur place.

En 1729, les chanoines chargés de la révision du Bréviaire dirent dans leur rapport que la suppression des octaves de Saint-Étienne, de Saint-Jean, des Saints Innocents leur paraissait très raisonnable ; elle n’eut pas lieu quand même, et tout continua comme auparavant. La fête fut aussi épargnée dans la révision de 1784 : elle fut seulement reportée au 28 décembre. On la garda ainsi jusqu’à la Révolution : on conserva de même le discours latin et la petite allocation : celle-ci fut même portée à 12 livres. La dernière fête eut lieu en 1792.