Découverte du tombeau de Jean de Salisbury, évêque de Chartres
dans Bulletin Monumental n° 69 – 1905, par le chanoine Métais, p. 501 à 504
doi : https://doi.org/10.3406/bulmo.1905.11849
https://www.persee.fr/issue/bulmo_0007-473x_1905_num_69_1

par Charles Métais (1855-1912)
Abbé, chanoine honoraire du diocèse de l’évêché de Chartres – Historien local et archiviste, directeur de la « Revue des archives historiques du diocèse de Chartres » (Source DataBNF)

« L’abbaye de Notre-Dame de Josaphat, près Chartres, fut fondée en 1117 par Geoffroy de Lèves, évêque de Chartres. L’église fut saccagée par les protestants en 1568 et en 1591, pendant les sièges de cette ville.

Elle contenait, d’après le nécrologe et les chroniques de l’abbaye, de nombreuses sépultures, dont quelques-unes furent dessinées par Gaignières. On connaît ainsi six sépultures d’évêques de Chartres, plusieurs d’abbés du monastère et d’un certain nombre de seigneurs de la contrée.
L’évêque fondateur, Geoffroy de Lèves, † 1148, avait son tombeau dans le choeur, « du costé de l’évangile, proche l’arcade où l’on va maintenant en la chapelle Nostre-Dame ».
Le premier abbé, Girard, mort en odeur de sainteté, avait le sien vis-à-vis, « du costé de l’épistre, devant la chapelle Saint-Nicolas ».
Goslein de Lèves, évêque de Chartres, † 1155, gisait « in sacello B. Marie Virg. post cathedras nostri chori ».
L’évêque Robert, † 1164, dans la chapelle de saint Jean l’évangéliste.
Jean de Salisbury, † 1180, « cujus corpus jacet apud nos in capella Beate Marie » « Son effigie estoit près de l’autel de la Vierge ».
Pierre de la Celle, † 1187, « in choro nostro ubi epistola legitur ».
Regnault de Mouçon, † 1217, « devant l’autel des Anges ».

Dans le choeur, on voyait encore les pierres tombales de Goslein de Lèves, seigneur de Lèves et frère de l’évêque Geoffroy, et de Lucie, sa femme, « sous l’aigle » ;
– de Jean Pinart, abbé, † 1505, « derrière la tombe de Girard » ;
– d’André de Moutain, abbé, † 1521, « in medio templi choro, ante lampadem, ubi decantatur epistola ».
Philippe de Lèves, archidiacre de Dunois, † vers 1216, était dans la chapelle Sainte-Catherine ; Gervais Vuain, abbé, † 1554, « dans la chapelle du costé de l’épître » ; Gervasius, abbé, XIIIe siècle, « in medio navis » ; Michel de Bonnemain, abbé, † 1271, « ante virgineum altare » ; Philippe de Lèves, XIIIe siècle, « à la grande porte de l’église » ; Garin de Friaize, † après 1231, dans le choeur, etc., etc.

Tous ces renseignements nous avaient fait concevoir le projet d’entreprendre des fouilles dans l’emplacement de l’église abbatiale, dans la cour actuelle de l’asile d’Aligre. Il n’en restait qu’un fragment de mur légèrement cintré, soutenu par une voûte au-dessus d’une fontaine.
Les premiers coups de pioche firent apparaître une colonne semi-circulaire engagée dans un mur, et bientôt après la colonne opposée. Celles-ci étaient soutenues par une base simple mais élégante, appuyée sur des griffes d’un beau dessin.

Tombeau de Jean de Salisbury : rinceau tatéral
Tombeau de Jean de Salisbury

Entre ces deux colonnes, dans un blocage qui remplissait l’abside en hémicycle du croisillon nord, fut dégagé un autel, encore intact, sauf la table supérieure enlevée. Entre l’autel et le mur on trouva une statue de la Vierge, de la Renaissance, décapitée et mutilée ; enfin le mur du côté de l’évangile était échancré jusqu’à un jour assez large, de forme carrée, pratiqué dans la voûte et par où on puisait de l’eau dans la fontaine sacrée pour les pèlerins.
A deux mètres à peine de la colonne de gauche fut découvert, adossé au mur de fond du transept, un splendide sarcophage, merveilleusement sculpté, mais qui avait été violé sans doute en 1568. Il contenait encore des ossements nombreux que nous avons recueillis avec soin. La tombe de Jean de Salisbury, évêque de Chartres, se trouve bien devant l’autel de la Vierge, élevé au-dessus de la fontaine consacrée à Marie, but d’un pèlerinage très fréquenté au moyen âge, et décoré d’une statue de la Vierge.

Ce sarcophage était peint en rouge au fond des panneaux, tandis que les sculptures saillantes, si délicates et si gracieusement fouillées, étaient dorées. L’effigie de l’évèque, qui couvrait et fermait le sépulcre, avait été brisée : nous n’en avons trouvé qu’un seul fragment triangulaire, où se voyait une toute petite partie inférieure du vêtement du personnage, faisant saillie et dont le creux était peint en rouge. Le gisant était donc en demi-relief et comme ciselé dans la fine pierre de liais dont les bords se relevaient pour l’encadrer. Cette effigie ayant été brisée par les violateurs du sépulcre, Gaignières ne l’a point vue. Au commencement du XVIIe siècle, quand les moines firent restaurer leur église, brûlée par les huguenots, le sol fut relevé de plus de deux pieds et le sarcophage fut recouvert par le remblai, ce qui le sauva d’une ruine plus complète en 1793.
Le tombeau n’étant plus apparent, les moines firent placer une inscription que nous avons retrouvée à Chartres et que nous avons publiée (1 – Bulletin archéologique, 1898, p. 436).
Ce monument funéraire remonte au commencement du XIIIe siècle, comme l’indique le style des superbes rinceaux de feuillages et de fruits d’arum qui décorent ses parois. Les cinq motifs variés de la face méridionale sont encadrés par des petites colonnettes et des arcatures tréflées. Les pilastres d’angle sont ornés de rinceaux plus étroits et le petit côté occidental est garni de tiges et de bouquets de feuillages d’un moindre relief, mais dont le dessin révèle un artiste consommé.

Notre désir serait de conserver ce tombeau, véritable chef-d’oeuvre de la sculpture gothique, à sa place même, où il a toute sa signification et tout son caractère ; mais surtout de poursuivre des fouilles qui promettent de nous faire découvrir d’autres sépultures de personnages historiques et les soubassements d’un choeur du XIIe siècle, dont le déambulatoire était flanqué d’une chapelle centrale en hémicycle et de deux chapelles carrées. »

Chanoine Métais

Tombeau de Jean de Salisbury, face principale