Vous trouverez ici une traduction française de l’extraordinaire monologue de ‘F For Fake’ (1973). Séquence magistrale, que de nombreux critiques considèrent parmi les scènes majeures de l’histoire du cinéma. Dans un film complexe, quasi autobiographique, où la thématique de l’illusion est omniprésente, Orson Welles pose une question essentielle, illustrée par des vues d’une cathédrale brumeuse : que restera-t-il en définitive du nom des artistes ? La rencontre d’un lieu d’exception et d’un metteur en scène génial qui clôt avec ‘F for Fake’ une œuvre essentielle, initiée par ‘Citizen Kane’. Peut-être l’un des hommages les plus étonnants à la cathédrale.

« Elle se tient là… debout, depuis des siècles, sans doute la première des œuvres… faites de la main de l’homme dans le monde occidental. Elle est là et elle n’est pas signée… Chartres…… Une célébration à la gloire de Dieu et à la dignité de l’homme. En définitive, tout ce qui demeure, au jour d’aujourd’hui, c’est l’homme, nu, misérable, écartelé, dérisoire. Il n’y a plus de célébration. Nos hommes de sciences nous parlent de l’univers comme s’il était à jeter. Il est possible que ce soit justement, entre autres choses, cette gloireanonyme, cette riche forêt de pierre, ce chant épique, cette allégresse, cet immense cri de foi lancé en chœur que nous choisirons, quand nos cités seront poussière, de garder intact, afin de laisser notre empreinte, afin de témoigner de notre puissance de création. Quelques-unes de nos œuvres sculptées, peintes, ou écrites seront épargnées pendant quelques décennies, ou un millénaire ou deux, mais tout doit finalement s’écrouler dans la guerre ou se fondre dans l’ultime et universel amas de cendre. Les triomphes et les impostures, les trésors et les faux. Un fait est certain, nous allons mourir. Gardez courage ! Arrachez les artistes morts à leur vivant passé ! Bientôt tous nos chants s’éteindront. Mais qu’importe ! Continuez à chanter ! Peut-être que le nom d’un homme n’a pas d’importance, ou si peu…».