par Félicité Schuler-Lagier, Interprète-conférencière au Centre international du Vitrail
avec l’aimable autorisation de Chartres Sanctuaire du Monde

 

(fig 1) Sainte Anne portant Marie, enfant, sur son bras gauche, et dans la main droite, un sceptre à trois fleurs blanches pentalobées (détail de la lancette centrale sous la rose nord) © NDC-fonds Gaud

La cathédrale Notre-Dame de Chartres possédait au XIe siècle un immense trésor de reliques. Un grand nombre des thèmes iconographiques des verrières, environ 64%, selon Claudine Lautier (« Les vitraux de la cathédrale de Chartres », Bulletin Monumental, tome 161, N°1), peuvent être mis en corrélation avec ces reliques, présentes à Chartres tout au long de la conception et de la réalisation des vitraux. Les vitraux avaient la fonction, parmi d’autres, d’affirmer la présence et l’efficacité des reliques du Trésor, qui ne pouvaient pas être présentées en permanence à la dévotion des fidèles, et de rappeler la place de la cathédrale Notre-Dame comme église-mère du diocèse, en présentant dans les vitraux les saints patrons des églises paroissiales aux alentours. Les reliques, dont la présence est bien attestée, avaient leur place dans la liturgie de la cathédrale.

Ainsi, l’omniprésence de l’iconographie mariale dans la cathédrale de Chartres, haut lieu marial, qui a reçu le voile (ou « Sancta Camisia ») de la Vierge Marie par l’empereur Charles le Chauve, au IXe siècle, s’explique aisément par la présence de cette insigne relique de la Mère de Dieu. Les historiens ont également souligné le rapport qui pouvait exister entre l’arrivée, en 1204, du chef de sainte Anne, mère de la Vierge Marie, et sa représentation majestueuse au centre des cinq lancettes, placées sous la rose nord dédiée à la Vierge Marie. (Fig. 1)

On a également établi des liens entre les représentations dans les vitraux de quelques saints, comme par exemple de Thomas Becket, dont les reliques étaient bien attestées dans le trésor de la cathédrale au début du XIIIe siècle, et les autels placés près des piliers et à proximité de ces vitraux.

En effet, le culte des reliques revêtait à l’époque médiévale une importance majeure, non seulement dans la vie de l’Église, mais aussi dans la vie civile.

Les premiers chrétiens entouraient d’une grande vénération les restes de leurs martyrs, recueillis en un lieu sûr pour y célébrer l’anniversaire de leur mort.

Car le jour de la mort d’un martyr était considéré comme le jour de leur naissance au ciel, leur dies natale, où la communauté locale se rassemblait près de leur tombe. (Fig. 2)

« Car celui qui touche les os d’un martyr, dit saint Basile, participe à la sainteté et à la grâce qui y résident ».

(fig 2) L’évêque martyr saint Thomas Beckett, dans son tombeau posé sur des colonnettes, afin que les pèlerins et les infirmes, comme le perclus se tenant sur ses béquilles et espérant une guérison, puissent passer par-dessous, selon un ancien usage (Baie 18 Saint Thomas Beckett) © NDC-fonds Gaud
(fig 3) Un disciple de saint Jacques guérit, en le touchant avec un tissu appartenant au saint, un jeune homme, gisant à terre, paralysé par l’action du diable. Un petit diablotin jaune se lamente d’être vaincu. Ce tissu – un mouchoir selon le texte apocryphe et qui prend ici la forme d’une chemise, peut-être par allusion à la sainte Chemise de la Vierge (Sancta Camisia) – agit comme un brandeum par contact en transmettant la vertu du saint (Baie 05 Saint Jacques) © NDC-fonds Gaud

Saint Grégoire de Nazianze précise encore que les corps des martyrs ont le même pouvoir que leurs saintes âmes, et dès lors, vénérer les restes des martyrs est bien plus que rendre simplement hommage à leur mémoire : c’est participer à leur vie spirituelle.
 
Tant que les papes refusaient de déplacer ou de fragmenter les reliques, en conformité avec l’ancienne coutume romaine qui s’y opposait, à cause du respect dû aux dépouilles des défunts, ils distribuaient à leur place, en réponse aux sollicitations qui affluaient de toutes parts, des brandea, des étoffes rendues précieuses après leur mise en contact avec les saintes reliques. (Fig. 3)

Si à Rome, au temps de Grégoire le Grand († 604), on interdisait encore d’ouvrir les tombes saintes, en se contentant d’offrir des reliques figuratives, linges ou huile ayant touché le tombeau du martyr, c’est surtout à partir de la découverte miraculeuse, l’invention des reliques de saint Étienne, à Kaphar-Gamala, non loin de Jérusalem, en 415, que l’on demandera de partout de posséder une parcelle du saint corps (Fig. 4). De nombreuses églises en Gaule doivent à cette première diffusion massive des parcelles du corps de ce proto-martyr, le fait d’avoir été placées sous le patronage de saint Étienne. Aujourd’hui, quelques soixante-dix communes de France portent encore son nom.

L’exhumation des restes des martyrs fut l’occasion de leur partage : tandis que la partie la plus notable était déposée dans une basilique qui devenait le centre de leur culte, de nombreuses parcelles enrichissaient les trésors d’autres sanctuaires, ou étaient placées dans des autels, lors de leur consécration.

(fig 4) Le vitrail consacré à saint Étienne, dans le déambulatoire nord, raconte la translation périlleuse, lors d’un voyage rocambolesque en mer, des reliques du saint proto-martyr, de Jérusalem à Constantinople, dans un sarcophage-reliquaire (Baie 13 Saint Étienne) © NDC-fonds Gaud

La translation ou transfert des reliques d’un saint, comme à Chartres de celles de saint Chéron, à la suite de leur invention miraculeuse, se faisait à chaque fois au milieu d’une nombreuse foule de fidèles. (Fig. 5 et 6)

(fig 5) Invention des reliques de saint Chéron : le saint, à gauche, apparaissant entouré d’un nuage, indique à un abbé en prière, avec un bâton l’endroit précis où se trouve son tombeau (Baie 15 Saint Chéron) © NDC-fonds Gaud
(fig 6) Les reliques de saint Chéron, après leur invention miraculeuse et translation solennelle, sont inhumées dans un nouveau tombeau sculpté en pierre. À droite, l’évêque, mitré, procède à l’aspersion du corps avec le goupillon, un clerc tenant une croix de procession et le seau d’eau bénite.  À gauche, des infirmes, aveugles, muets et estropiés, y assistent, dans l’espoir d’une guérison (Baie 15 Saint Cheron) © NDC-fonds Gaud
(fig 6 bis) Le vol de la dépouille mortelle de saint Martin tel qu’il est raconté par Grégoire de Tours : les disciples tourangeaux passent nuitamment le corps de saint Martin par une fenêtre… (Baie 20 Saint Martin) © NDC-fonds Gaud

à suivre…

Article original publié dans la Lettre de Chartres Sanctuaire du Monde (mai 2021)