Aux questions qui parviennent au rectorat de la cathédrale – surtout au travers des guides du Service des Visites – nous répondons parfois en images. Les sujets sont variés et mettent parfois en relief des aspects insoupçonnés de la cathédrale…

J’avais été interpellé enfant par une affirmation selon laquelle on n’utilisait pas de brouette sur les chantiers des cathédrales. Alors comment transportait-on les pierres assez lourdes jusqu’au pied des échafaudages de chantier ?

La légende d’une invention récente de la brouette est assez tenace. C’est à Blaise Pascal que plusieurs auteurs, comprenant mal un  mot d’esprit (parisien) de la fin du  XVIIe siècle, l’ont ainsi attribué. Notre grand homme de science, qui était un esprit austère, aurait sûrement éclaté de rire : il en voyait parfois rouler dans les rues de Paris…
 
La difficulté de la brouette, encore aujourd’hui, est qu’elle oblige à des ruptures de charge, à chaque fois qu’il est impossible de rouler – d’où l’installation sur les chantiers de ‘chemins’ de planche. Au moins jusqu’au XIIIe siècle, le procédé le plus utilisé est le brancard : deux barres de bois résistant, un plateau et deux porteurs. On en découvre deux très beaux exemples dans les vitraux de la cathédrale, qui sont justement associés aux métiers du bâtiment. Dans le vitrail de Charlemagne (construction d’une église en l’honneur de saint Jacques) les manœuvres peinent  sur une passerelle qui monte dans les échafaudages. Certains détails sont réalistes, notamment les barreaux de la passerelle qui évitent d’y glisser, le renforcement des barres du brancard dans leur partie médiane ou encore les deux  trous, de chaque côté, qui permettaient d’y attacher solidement le fardeau. D’autres détails sont totalement irréalistes, notamment cette passerelle qui arrive d’un seul jet à la base des vitraux de l’étage supérieur, soit une vingtaine de mètres de haut ! Dans le vitrail de saint Silvestre, offert par les maçons, un panneau miniature est consacré à ce transport des pierres.

à gauche : vitrail de Charlemagne & détail du brancard – à droite : vitrail de saint Silvestre, donateurs
© NDC – fonds Gaud

On retrouve le même procédé dans de nombreux manuscrits du XIIIe siècle, souvent pour montrer la construction du temple de Jérusalem. Voici deux enluminures de marges (manuscrits de la bibliothèque d’Alençon et de la bibliothèque Sainte Geneviève – Paris) qui s’apparentent aux vitraux de Chartres. Ce thème pittoresque se retrouve sur des pastiches du XIXe siècle – avec cette très belle scène de chantier montrant la variété des métiers du bâtiment, ainsi que des copies du XXe siècle.

à gauche : deux enluminures de marges (manuscrits de la bibliothèque d’Alençon et de la bibliothèque Sainte Geneviève – Paris)
à droite : pastiches du XIXe siècle

Les premières apparitions de brouette dans les manuscrits datent des années 1240/1250 : on cite fréquemment l’exemple de la vie de saint Alban, réalisé en Angleterre dans l’entourage de Matthieu Paris. La diffusion assez large de cette iconographie dans les deux décennies suivantes laisse soupçonner que la brouette est déjà assez largement connue : il faut éviter de commettre l’erreur de vouloir en dater l’apparition trop précisément. On sait que les artistes ont souvent un retard important quand il s’agit d’intégrer certaines évolutions techniques : je me souviens d’une école maternelle, vers 1985, dans laquelle la maîtresse invitait à  dessiner des trains… à vapeur.
La brouette de la fin du Moyen Âge est assez différente de la nôtre et ressemble davantage à un brancard à roue : le plateau est placé très bas et présente un profil courbe. C’est ainsi que nous la découvrons sur de nombreuses enluminures du XVe siècle. Des menuisiers écossais en ont fait récemment une intéressante reconstitution.

à gauche : manuscrit anglais  /  au milieu : marge d’un manuscrit tourangeau  /  à droite : reconstitution