Aristide Auguste Désiré COURTADEUR…

Dans « l’Œuvre des Clercs de Notre-Dame de Chartres 1853-1885 », parue en 1910, le chanoine Clerval, supérieur de l’œuvre, retrace les évènements qui ont marqué les trente premières années de l’institution, destinée à préparer à la prêtrise des garçons de situation modeste. Ressortent de cette histoire la personnalité des fondateurs – au premier plan desquels on trouve le chanoine Ychard – ainsi que l’extrême attachement des jeunes maîtrisiens au sanctuaire marial.
Dans un long passage intitulé ‘Clercs édifiants’, Clerval rapporte ses souvenirs relatifs au destin de plusieurs maîtrisiens, qu’ils aient été ordonnés prêtres ou soit morts dans leurs années passées en formation, auprès de la cathédrale. Voici l’une de ces histoires singulières, où le style de l’auteur n’empêche pas d’imaginer la personnalité d’un jeune homme – volontaire, fantasque – ainsi que ses derniers instants.

Aristide Auguste Désiré COUTADEUR, d’Orléans, mourut à la maîtrise de Chartres, le 29 novembre 1874, à l’âge de 17 ans. C’était […] un bien aimable enfant, léger comme un papillon il est vrai, babillard même, peu tenace à l’étude, mais franc comme l’or, souriant, pieux comme les beaux anges qu’il dessinait sur ses cahiers et ses livres… quelquefois, sans doute, aux dépens de la leçon…

Le pauvre petit faillit être victime en 1870, d’un accident terrible. Par une belle soirée du mois d’août, les clercs de Notre-Dame étaient allés prendre leurs ébats dans la prairie des Grands-Prés. Avec l’entrain de leur âge, ils simulaient les exercices belliqueux dont ils étaient témoins. Leur petite guerre était dans toute son ardeur, quand soudain un coup de feu part on ne sait d’où et vient frapper Coutadeur en plein visage. Le pauvre petit tourne sur lui-même et tombe dans les bras de ses camarades éperdus. La balle, entrée au-dessus de l’œil, y avait fait une profonde blessure, d’où s’échappait un flot de sang. Les médecins ne purent l’arracher.

Cependant, par une sorte de miracle, l’enfant revint peu à peu à la santé et put reprendre ses études. Tout alla passablement pendant trois années. Se voyant protégé par Notre-Dame, il lui voua la plus grande dévotion. Armé de la sainte chemisette, il entra dans l’association de l’Immaculée-Conception et se composa pour lui-même une petite prière touchante en son honneur. […] Les retraites annuelles l’intéressaient beaucoup, avec leurs sermons et petits conseils. Il les recueillait tous afin, disait-il, de s’en servir plus tard. L’idée du sacerdoce était si profondément gravée dans son esprit qu’il en rêvait souvent ; « Figurez-vous, disait-il à ses petits amis, combien j’étais heureux cette nuit… Je célébrais ma première messe et la Sainte Vierge m’assistait ».

Il aimait à concourir à la beauté des cérémonies. Un jour, il obtint, à force de supplications, de préparer la fête de l’Adoration à la crypte… il ne se coucha qu’à minuit. Pendant les vacances, il se confectionnait avec du papier, des chasubles, des chapes, des voiles huméraux : il avait reçu de M. le supérieur la permission d’acheter un calice, un ciboire, des chandeliers, une croix, tout ce qu’il fallait pour se croire prêtre. Pendant les offices qu’il présidait, il débitait les petits sermons qu’il avait composés à l’avance.

Mais l’ennemi était resté dans la place ; il commençait d’y faire des ravages inquiétants. La phtisie se déclara. Aristide, incapable désormais de se livrer à l’étude, dut garder l’infirmerie.

Que faire, pendant ces longues heures de loisir ? Dessiner des églises, des vases sacrés, des ornements sacerdotaux, faire de sa chambre une petite chapelle, tels furent ses passe-temps, entre les crises du mal. Un jour, une idée nouvelle s’empara de son esprit […] qui dénote la beauté de ses sentiments. Dans dix ans, pensait-il, je serai prêtre… pourquoi ne pas profiter de ces loisirs forcés, pour me faire un ornement, l’ornement de ma première messe ?…

Immédiatement, l’enfant se met à l’œuvre : il emploie toute son éloquence à gagner à son projet la religieuse chargée de le soigner. Il lui demande de lui apprendre à tapisser et de lui fournir les objets nécessaires à son travail. Et le voilà, pour préparer sa première messe, passant de longues heures, de longs jours, sur le métier, entremêlant avec art les laines de diverses couleurs, emplissant sa trame avec ardeur, pendant que la trame de sa vie, hélas ! se dévidait si rapidement. Une étole, l’étole de sa première messe allait bientôt être terminée… Aristide fut prévenu que les anges lui en tissaient une bien plus belle au ciel. Il dut laisser la sienne inachevée pour aller recevoir la leur.

Le mal, en effet, ne tarda pas à empirer. Cela le surprenait un peu, et, dans sa naïve confiance, il chargeait sa garde malade de gronder la Sainte Vierge qui ne l’avait point exaucé. Mais il se résigna bien vite. […] Lorsque des prêtres, de ses amis, venaient le voir, il leur demandait, fût-ce par un signe, leur bénédiction. À ses condisciples, il recommandait de bien prier pour les âmes du purgatoire. Le 29 novembre, il manifesta le désir qu’on lui récitât bien distinctement, afin qu’il pût les comprendre, les prières des agonisants. Il réclama, une fois encore, l’Extrême-onction, mais il l’avait déjà reçue peu de jours auparavant. Aux bonnes Sœurs qui lui avaient fait leurs petites recommandations, pour le moment où il arriverait au ciel, il disait joyeusement : « C’est ce soir que je vais aller faire vos commissions ».
Le soir, en effet, pendant qu’à la cathédrale, dont la chambre du malade n’était séparée que par un mur, on chantait le Benedicamus Domino, « Et moi aussi, s’écria-t-il, je bénis le Seigneur ! »
Au moment où l’on entonnait l’Alma Redemptoris Mater, il expira doucement, en pleine connaissance, près de la religieuse qui le veillait. Et toute la maison crut, dès lors, qu’elle avait un protecteur de plus au ciel.

Son étole ne resta pourtant pas inachevée. Vingt ans après, une de ces religieuses dames qui veulent bien parfois visiter le vestiaire de la Sainte Vierge, exhuma, du fond d’un tiroir, un objet dont elle ne se rendit pas compte, à première vue. « Qu’est-ce que cela ? » demanda-t-elle. – On lui raconta la touchante histoire d’Aristide et de sa tapisserie. – « Mais c’est une relique, reprit-elle, il ne vous est pas permis de laisser perdre un si précieux souvenir. Confiez-moi cette étoffe ». Et bientôt l’étole revint achevée, parée, brillante de jeunesse, comme probablement l’avait rêvée son auteur. Et maintenant, enrichie des pierres de l’Église, cette étole est devenue l’instrument des grâces et des faveurs du ciel. Chaque matin, le chapelain de Notre-Dame du Pilier s’en revêt pour bénir les enfants et dire l’Évangile traditionnel sur la tête des fidèles ».